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l’homme et la terre. — mongols, turcs, tartares et chinois

pieux mais à l’esprit plus ouvert, le moine Rubruk, Ruysbroek, Rubriquis, des environs de Valenciennes. Comme ses prédécesseurs, l’envoyé de l’Europe chrétienne dut renoncer à convertir le Grand khan et, avec lui, tout son peuple ; il lui fallut même commencer par une sorte d’apostasie en se prosternant devant le souverain des Mongols comme devant un Dieu. Toutefois, il s’en tira comme il convenait à un prêtre, même avant la naissance des Jésuites, en faisant servir mentalement cet acte d’adoration à une fin chrétienne et invoquant son Père Eternel pour la conversion de Mangu-khan. Le bon moine avait bien d’autres cas de conscience à résoudre, il lui semblait voir des sortes de chrétiens parmi les idolâtres qui l’entouraient, puisque leurs prêtres pratiquaient le célibat, se tonsuraient la chevelure et portaient mitre, chasuble et chapelets, tous objets identiques à ceux qui lui étaient familiers, mais, à côté de ces indices de la Vraie foi, que de cérémonies abominables, certainement inspirées par le démon ! La chose odieuse par excellence n’était-elle pas la tolérance universelle que les khan étendaient sur les cultes de toute espèce, chamanisme et bouddhisme, islamisme et nestorianisme ?

L’homme du moyen âge chrétien, pénétré de l’enseignement formel de l’Église : Compelle intrare ! « Forcez-les d’entrer », ne comprenait pas la tranquille indifférence des khan à l’égard de ce qui lui semblait être le but même de l’existence. C’était pour lui « abomination de la désolation », tant il est vrai que la morale d’hier devient l’immorale d’aujourd’hui. Il n’admettait que la persécution au nom de l’unité religieuse, tandis que l’on cherche à présent cette même unité des âmes dans la libre discussion et la libre recherche de la vérité scientifique. Mangu-khan comprenait l’unité à un point de vue plus personnel. Quand il renvoya Rubruk à son maître, il le chargea de ce simple message : « Ceci est l’ordre du Dieu Eternel : Un Dieu, un Roi » ! Ne fut-ce pas aussi le rêve de Louis XIV et de tant d’autres ?

Heureux de cette tolérance religieuse qui scandalisait tant le moine Rubruk, les commerçants étrangers se pressaient à la cour du Grand khan pour y exercer leur industrie ou échanger leurs marchandises. Slaves et Germains, Italiens et Français s’ingéniaient à y faire fortune. Un jardinier, Guillaume, s’y distinguait par ses talents d’ordonnateur des fêtes. Mais la ruche des travailleurs était emplie surtout de Chinois, et, dans l’histoire de la géographie, la valeur de Rubruk lui