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l’homme et la terre. — mongols, turcs, tartares et chinois

quelques mots chinois reproduisant les titres des dignitaires ; mais, par un étrange croisement des civilisations, l’écriture employée par les graveurs se rattache au système de l’alphabet araméen. Les Nestoriens avaient apporté ces lettres syriennes, que Turcs et Mongols utilisèrent à défaut d’écriture propre : ainsi se mélangeaient et se brassaient les civilisations diverses de l’Asie.

Le « campement noir » ne resta pas longtemps la capitale unique d’un royaume qui s’étendait sur plus de 10 000 kilomètres de l’est à l’ouest. Dans les vingt années qui suivirent la mort de Djenghis, ses fils et leur famille se rendirent indépendants de fait de l’empereur et se choisirent sur le pourtour de l’empire des résidences appropriées à leur domaine. Hulagu, le conquérant de l’Asie antérieure, se fixa à Maragha[1], près du lac d’Urmiah, au cœur de l’antique Azerbeidjan et, acceptant l’influence de l’astronome Nasr Edin, fit de cette ville un centre d’études de premier ordre. Dès après la prise de Bagdad, en 1259, un observatoire y fut construit, une bibliothèque se forma, des astronomes et d’autres savants y furent appelés de toutes parts et les élèves affluèrent ; l’équipement scolaire comprenait, nous dit-on, des globes célestes et des sphères terrestres avec indication des régions habitées. Maragha et sa voisine Tabriz Remplacèrent aussi Bagdad dans son rôle commercial et Trébizonde devint le grand port de l’Orient méditerranéen[2]. Si terrible qu’il pût être sur le champ de bataille, Hulagu était d’une tolérance parfaite en matière religieuse, aussi les moines ne manquèrent pas d’affirmer qu’il avait embrassé la Vraie foi. Il avait, du reste, épousé une chrétienne et la tombe des deux époux se trouve encore près de Maragha.

D’ailleurs les Mongols, après cinquante années de guerres extérieures, avaient cessé d’être des Mongols, tout en ayant gardé l’orgueil national et le prestige de leurs infaillibles victoires. Le gros des armées ne se composait plus des peuplades primitives : aux Khalka, aux Eleut, aux Ordos de race s’étaient mêlés des gens de toutes les nations, entraînés dans le grand déluge : Dsungares, Ouïgour, Tartares, Khirghiz et autres Turcs, Bachkir, Koumanes, Pelchénègues et autres Finnois. Les Slaves étaient aussi représentés en grand nombre parmi eux, et les noms cités par Rubruk prouvent que les aventuriers européens de Bysance, d’Alle-

  1. Voir pour Maragha, carte n° 53, t. I.
  2. R. Beazley, Mediæval Trade and Trade Routes.