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l’homme et la terre. — mongols, turcs, tartares et chinois

leuses, prétendait descendre du premier forgeron qui alluma l’incendie ; d’autres lui donnaient pour ancêtre le « loup bleu venu de par delà les grandes eaux[1] ».

Du côté de la Chine, l’invasion mongole prit un caractère très différent de celui qu’elle eut vers l’Asie antérieure et l’Europe. Elle fut moins barbare, comme si les assaillants avaient gardé devant les yeux la majesté de l’empire ; c’est ainsi que des Germains hésitèrent plus d’une fois devant Rome, même lorsqu’elle était sans défense. Et puis l’ambition des Mongols n’était point d’imposer aux Chinois leurs mœurs, leur langue et leur civilisation, elle fut au contraire d’atteindre ou de dépasser les « Fils du Ciel » dans la culture confucienne, dont ils reconnaissaient l’absolue supériorité ; ils voulaient se faire Chinois, et leurs chefs, façonnés à l’étiquette traditionnelle, se conformèrent à toutes les coutumes de la nation policée dont ils avaient triomphé ; seulement ils y apportèrent plus de fougue et d’originalité. Le fameux Kublaï-khan, qui régna sur la Chine de 1260 à 1294, fut certainement un des empereurs qui se distinguèrent le plus par l’initiative. Il aurait une place à part parmi les souverains de l’Extrême Orient quand même il n’aurait pas été celui qui, en accueillant les marchands vénitiens de la famille des Poli, établit les premières relations directes de la Chine avec l’Europe occidentale.

Quant aux marches guerrières à l’ouest de leur territoire natal, les hordes mongoles les pratiquèrent d’effroyable façon. Leurs invasions sont, de tous les événements racontés par l’histoire, ceux qui ont fait verser le plus de sang et laissé après eux les plus vastes solitudes. Si horribles, si monstrueuses qu’aient été les luttes des nations dans tous les pays du monde, avant et après le temps des incursions mongoles, elles n’égalèrent point cette abominable tuerie, cette dévastation de fond en comble que rappellent les noms de Djenghis-khan et de Timur-lenk. Si « la paix n’est qu’un beau rêve », ainsi que nous l’a dit un grand stratégique moderne presque en mourant, comme une parole testamentaire, il faut en conclure que la réalité c’est la guerre, et, dans ce cas, l’apogée de l’humanité serait représentée par la période des exterminations mongoles.

Les conditions du milieu qui permirent aux Mongols de se faire la nation conquérante par excellence ne se retrouveront plus, car depuis cette

  1. F. Lenormant, les premières Civilisations.