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l’homme et la terre. — mongols, turcs, tartares et chinois

du Buddha, les livres sacrés, et pour donner en échange les soieries, les émaux et les porcelaines de la contrée nouvellement conquise à la foi. Mais combien éloignées l’une de l’autre étaient l’Inde et la Chine, séparées par le large plateau du Tibet, aux arêtes parallèles de monts, et par les multiples remparts du système himalayen ! Dès que les hautes terres tibétaines eurent été visitées elles-mêmes par les convertisseurs bouddhistes et que la route se trouva ainsi facilitée pour les bandes guerrières, l’empire de Chine, qui atteignait alors sa plus grande extension territoriale, eut pourtant l’ambition d’abréger les distances à son profit par la conquête des plaines hindoues que dominent les monts glacés.

Durant le cours de l’histoire et espacées de près de douze siècles, 647−648 et 1792 de l’ère vulgaire, on signale, sur le versant méridional de l’Himalaya deux descentes militaires, dont la première se serait avancée fort loin vers la Gangâ, prenant « 580 » villes et emmenant un roi prisonnier ; mais, il faut le dire, les généraux chinois avaient recruté la presque totalité de leur armée dans le Nepâl. Pareille tentative ne pouvait réussir sérieusement : les montagnes, les vallées intermédiaires, les plateaux infertiles, le froid excessif, le manque de ressources, la longueur du trajet, opposant des difficultés prodigieuses aux armées en marche, empêchaient que ces incursions pussent avoir de lendemain glorieux. On a vu les difficultés éprouvées par l’expédition anglaise de 1904 vers Lhassa, équipée pourtant avec un soin parfait et guidée par toutes les ressources que la science moderne mettait à sa disposition. L’ensemble des hautes terres ne sentit donc pas le rayonnement du pays le plus proche, ou, du moins, n’en subit l’influence que par les voies détournées et pénibles du Nord, et c’est par la Kachgarie que le Tibet fut sinon conquis matériellement, du moins annexé moralement au monde oriental par l’introduction triomphante du bouddhisme depuis la fin du septième siècle.

En aucun pays du monde, « la religion n’a pris sur les hommes un aussi grand empire ». Les prêtres, moines et religieuses constituent en maints endroits la majorité de la population, et là où les couvents-citadelles n’ont pas fait le vide autour d’eux, ce qui reste des habitants n’en mène pas moins une vie tellement réglée par les rîtes religieux qu’ils ressemblent aux servants habituels des temples, par les génuflexions, les observances et les prières. Evidemment, le bouddhisme tibétain n’a pris une telle puissance chez ces montagnards d’un conser-