Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome IV, Librairie universelle, 1905.djvu/182

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
158
l’homme et la terre. — les monarchies

C’est à la fin du onzième siècle qu’eurent lieu les aventures guerrières célébrées dans un Romancero du seizième siècle, et, dès le début du siècle suivant, les chrétiens purent espérer la conquête entière de la Péninsule. Un roi d’Aragon, devenu par mariage co-souverain de la Castille, crut même le moment venu de s’appeler « empereur d’Hispanie ». En 1147, une chance heureuse ayant permis aux chrétiens de prendre Alméria, les royaumes arabes du midi se trouvaient déjà menacés du côté de la mer et partiellement séparés de leurs coreligionnaires d’Afrique. Dès la première moitié du treizième siècle, le sort des Arabes est irrévocablement fixé, puisque le blocus, se resserre autour d’eux. Ils sont battus à Navas de Tolosa (1212), puis à Merida (1230) et l’Estrémadure leur est enlevée : on leur prend Cordoue, puis Séville, enfin Cadix, en 1250. La migration de retour commence pour les musulmans des provinces conquises, et les familles nobles demandent le baptême en foule pour devenir gentilshommes de Castille. Le cercle de fer fut complété en 1340, lorsque Algeciras tomba aux mains des Espagnols et que le royaume arabe de Grenade resta complètement isolé. Toutefois, plus d’un siècle devait encore se passer avant que fût porté le dernier coup : c’est que les peuples, intéressés au travail, n’eussent pas mieux demandé que de vivre en paix ; le zèle de la foi catholique n’avait point cette ardeur que lui donne le mirage des siècles. Même les ordres de chevalerie qui, pourtant, avaient été spécialement créés pour mener la croisade à l’intérieur, les compagnies de Santiago, d’Alcantara, de Calatrava, s’occupaient beaucoup plus d’accroître leurs titres et privilèges, leurs domaines et revenus que de guerroyer et risquer leur vie contre les infidèles. D’ailleurs, quel que fût le zèle des champions les plus ardents de l’Espagne chrétienne, ils n’en restaient pas moins les élèves des Arabes par une grande part de leur civilisation. Même en leurs institutions politiques, ils les prenaient pour modèles. La justice aragonaise fut entièrement copiée sur celle des Arabes, ainsi que l’organisation administrative et le régime militaire[1].

L’équilibre, instable et constamment modifié, comportait alors deux centres principaux dans l’Espagne catholique : la Castille, aristocratique et fière, et l’Aragon, sorte de République paysanne qui surveillait son roi, tout en lui permettant de faire des conquêtes extérieures, d’annexer les Baléares, la Sardaigne, la Sicile. Quant au Portugal, qui s’était rendu

  1. Julian Ribera, Origenes della Justicia de Aragon.