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l’homme et la terre. — les monarchies

Privée de tout rapport avec sa voisine l’Angleterre, son éducatrice naturelle, l’Ecosse fut par contre-coup rejetée vers la France, qui devint à la fois son alliée politique et son modèle en civilisation[1]. Mais les deux contrées sont fort éloignées l’une de l’autre et les mers qui les séparent périlleuses à franchir. La force d’attraction mutuelle devait, par la nature même des choses, diminuer « en proportion du carré de la distance » ; néanmoins on reste étonné des gallicismes de toute espèce qui se sont introduits et maintenus depuis cette époque dans les institutions, l’architecture, les mœurs et la langue des Écossais.

A une autre extrémité de l’Europe, les habitants de la péninsule Ibérique se débattaient aussi en de constantes luttes, sollicitées par l’une ou l’autre des deux forces en conflit, la passion de l’individualité provinciale et l’ambition de l’unité générale du pays : les traits géographiques marqués dans la presqu’île par les contours des plateaux et les arêtes des montagnes expliquent ces événements. Dans l’ensemble, les guerres incessantes du moyen âge en Espagne sont représentées à la fois comme un conflit de religions et de races. Pour les esprits simplistes, ayant subi l’éducation catholique, où tout se présente en larges couleurs unies, les révolutions d’Espagne n’auraient été qu’une revendication sans fin de la foi chrétienne contre le culte musulman, qu’un tournoi entre les chevaliers de Dieu et les suppôts du démon ; tout au plus se serait-il mêlé à ce conflit religieux un peu du contraste ethnique produit par le contact des races aborigènes et des fils des Suèves et des Visigoths avec les envahisseurs du Sud et de l’Orient, Berbères et Arabes. Certainement, il y a quelque part de vérité dans cette vue générale des choses, mais les phénomènes de la vie locale, dans leur mélange avec la tendance nationale vers l’unité politique, eurent sans aucun doute une importance plus considérable encore.

Et puis, il faut aussi faire la part du retour vers la barbarie créé par le continuel brigandage. On peut en juger par la véridique histoire de Ruy ou Rodrigo Diaz de Bivar, le Campeador ou « Batailleur », dans lequel la légende voyait le champion incorruptible et chevaleresque de la foi chrétienne, tandis qu’il fut en réalité un chef de bandes mercenaires, se mettant soit au service des chrétiens, soit à la solde des

  1. W. Denton, England in the fifteenth Century, pages 65-79.