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l’homme et la terre. — les monarchies

rique, à forcer les multiples remparts des Low lands ou « Terres-basses », et à saisir les positions militaires d’entre Forth et Clyde; mais au delà, ils se heurtaient contre les monts escarpés du nord, où la nature leur était aussi ennemie que les hommes. L’âpreté de la contrée compensait l’infériorité du nombre.

Dès la fin du treizième siècle, l’Écosse paraissait sur le point d’être soumise. Successivement, les chefs Baliol et Wallace furent battus par Edouard Ier; mais un nouveau révolté, Bruce, groupa les forces écossaises pour une résistance désespérée et réussit en effet à triompher de l’armée anglaise, sur la colline de Bannockburn (1314), qui couvre au sud la porte stratégique de la haute Écosse, Stirling. Cette victoire permit au royaume du nord de reprendre l’offensive : Bruce pénétra même en Irlande, où il espérait pouvoir trouver des alliés contre l’Angleterre ; mais, depuis longtemps envahie, découpée en domaines et en principautés diverses, Erin ne présentait en aucune de ses provinces assez d’unité politique pour offrir un point d’appui suffisant.

La victoire de Bannockburn fut peut-être pour les Écossais un déplorable triomphe : elle fit le plus grand mal à leurs ennemis, mais à eux-mêmes bien davantage encore. L’Écosse, qui, jusqu’alors, avait reçu du midi britannique tout son ferment de vie, cessa d’être alimentée au point de vue de l’industrie, du commerce et de l’art. Les gens instruits et les artisans habiles, qui, pour la plupart, étaient Anglais, durent quitter l’Écosse : tout rétrograda, au point de vue matériel, intellectuel et même moral. Les Écossais, redevenus presque sauvages, en arrivèrent même à ne plus savoir fabriquer leurs armes, qu’il leur fallait importer de France et des Flandres. D’autre part, l’ancienne nation des Pictes doit sans doute à cette séparation politique et sociale d’avoir vécu suivant un développement plus original et maintenu à travers les siècles son individualité propre.

Des deux côtés de la Solway et de la Tweed la zone bordière se changea en désert : aussi loin que pouvaient atteindre les pillards dans une chevauchée nocturne, tout le pays fut rapidement dévasté. Plus d’un million d’hommes, dit-on, furent massacrés dans les guerres nationales et civiles de l’Écosse. On peut juger des malheurs du peuple par le sort des rois eux-mêmes : la plupart périrent de mort violente, laissant le trône à leurs enfants mineurs. Nombre de cités tombèrent en ruines, bientôt recouvertes de gazon : le port de Berwick, qui, dans