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oppression et révolte en angleterre

vèrent dans le comté d’Essex ; bientôt tous les autres comtés du sud-est suivirent le mouvement, et des bandes constituant une armée de plus de cent mille hommes se mirent en marche vers la capitale, détruisant les châteaux, ouvrant les prisons, bâtonnant seigneurs et magistrats. Le roi Richard II n’osa point se mesurer avec eux, les révoltés entrèrent dans Londres, où ils brûlèrent les palais des seigneurs les plus haïs. Alors le gouvernement céda, s’engageant par serment à toutes les réformes demandées. Les paysans confiants se dispersèrent, et Wat Tyler — Gault le Tuilier —, le chef des insurgés, fut assassiné par le lord-maire lors d’une conférence avec le roi. Il ne restait plus à celui-ci qu’à se faire dégager de ses promesses par le Parlement et à faire tuer et martyriser par centaines ceux des paysans que l’on signalait comme meneurs. L’oppression reprit de plus belle après cette tentative d’émancipation.

Parallèlement à ce mouvement économique s’était produite une poussée de liberté dans l’église anglaise : la « réforme » s’accomplissait un siècle et demi avant la période critique portant ce nom dans l’Europe occidentale. Le docteur Wiclef personnifia et dirigea cette transformation religieuse. A l’université d’Oxford, devant le Parlement et surtout devant le peuple, on le voit combattre les prétentions du pape à la domination des âmes, et l’ingérence des prêtres et des moines dans la société civile et la vie des familles ; il rejette la confession, puis, faisant appel à la Bible contre ses interprètes officiels, se met à la traduire en langage populaire pour que le peuple lui-même, débarrassé des maîtres officiels de l’Eglise, soit le juge direct et le confesseur de sa foi, enfin, par de vigoureux pamphlets, répand ses sarcasmes sur les abus religieux. Homme de principes, Wiclef va jusqu’aux conséquences de ses idées et, comme précurseur, par la logique de sa doctrine religieuse, même politique et sociale, dépasse de beaucoup ses continuateurs ; en réalité, il « aboutit à l’anarchisme individualiste absolu[1] ». Aussi le pouvoir civil devait-il réprouver son action, aussi bien que le pouvoir religieux. En 1381, l’année même du conflit qui mit directement aux prises la jacquerie des paysans et la royauté, l’enseignement de Wiclef est condamné par les professeurs d’Oxford, et ses adhérents, les lollards, sont persécutés. Cependant, on n’osa pas toucher à cet homme pur, universellement respecté, et il mourut trois années après sans avoir

  1. Ernest Nys, Notes sur la Neutralité, Revue de Droit International et de Législation comparée, 1900.