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l’homme et la terre. — les monarchies

les actes du treizième siècle on parle fréquemment des apprentis « vendus » et « achetés », mais ces mots avaient probablement perdu leur sens primitif et se rapportaient simplement aux droits et engagements respectifs des patrons et de leurs élèves[1].

Pour faire travailler les domaines dont ils accroissaient incessamment l’étendue, les seigneurs cherchaient à fixer de nouveau l’homme et son labeur. Afin de disposer de la main-d’œuvre nécessaire, ils firent publier un acte du Parlement, par lequel il était défendu aux paysans de quitter leur paroisse ; toutefois, la misère était si grande en certains districts des marais, des landes, et des marches de Galles et d’Ecosse que, dans ces contrées, la « recherche du travail » n’était pas considérée comme un délit punissable par la loi. De même, à l’encontre d’un édit défendant l’augmentation du salaire des ouvriers agricoles, les nécessités de l’offre et de la demande obligeaient souvent les propriétaires de violer à leur détriment leurs propres lois pour s’assurer des travailleurs par un accroissement de gages. Les garçons, les filles employés dans leur enfance au travail de la terre étaient par cela même condamnés à la glèbe pendant tout le reste de leur vie, l’apprentissage d’un métier leur étant absolument interdit. Cependant, l’intérêt des villes se trouvant en opposition complète avec celui des propriétaires terriens, il en résultait des juridictions contradictoires. Ainsi, la ville de Londres, où la mortalité dépassait de beaucoup la natalité, serait devenue rapidement un cimetière si des immigrants de la campagne n’étaient venus, en dépit des lois, remplir les vides laissés par les morts ; le même phénomène économique devait se reproduire dans toutes les autres villes, qui se maintenaient en violation de toutes les règles de l’hygiène. Les districts industriels faisaient aussi fléchir la loi à leur profit[2].

Mais de toutes manières, seigneurs et bourgeois se disputaient la possession exclusive des bras humains pour les utiliser en maîtres impitoyables. Aussi l’Angleterre eut-elle ses « jacqueries » et même celle de toutes qui fut entreprise avec le plus de méthode et atteignit les résultats les plus considérables, d’ailleurs éphémères, connue ceux des jacqueries du continent. C’était en 1381, le Parlement venait d’imposer une nouvelle loi de capitation pour subvenir aux frais de guerre et au luxe de la cour : les paysans, exaspérés par les agents du fisc, se soule-

  1. W. Denton, ouvrage cité, p. 36.
  2. Même ouvrage, pp. 145, 217 et suiv.