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l’homme et la terre. — les monarchies

était divisé en billons d’une longueur uniforme, mesure que les arpenteurs et dessinateurs de plans emploient encore en Angleterre : le furlong[1], et chacun d’eux était séparé des autres par un espace inculte, gazonné ou broussailleux, dans lequel pouvaient s’abriter les lièvres. Tous les billons d’un même groupe étaient, labourés par la même charrue et la récolte se faisait en même temps pour que la terre devînt pâturage commun depuis le 1er août (Lammasday) jusqu’à la Chandeleur, au commencement de février.

Le « seigneur du manoir » regardait avidement vers ces cultures qui appartenaient à la commune dont il pouvait se croire le représentant et, par une conséquence naturelle, le véritable maître. Mais l’ambition par excellence du noble était de s’emparer des forêts, des pâturages, des tourbières qui constituaient depuis les temps les plus reculés la propriété de tous et perpétuaient de siècle en siècle l’ancien régime communautaire, tel qu’il avait existé avant la période historique, chez les ancêtres bretons, germains et Scandinaves. Dans ces tentatives d’accaparement, les seigneurs avaient naturellement l’appui que donne la loi, puisqu’ils formaient eux-mêmes le Parlement et pouvaient ainsi légiférer à leur aise, en s’assurant à prix d’argent le concours des juristes, haute domesticité du royaume.

Depuis le milieu du treizième siècle, une guerre ininterrompue régnait entre les barons et les communes pour la possession de ces terrains indivis : les tribunaux, le Parlement retentissaient continuellement de ces débats, et parfois on essaya de les résoudre par la force. En 1235, un acte donna le droit aux seigneurs du manoir d’enclore les parties du sol commun qui « n’étaient pas nécessaires aux communiers libres ». Mais quelle était la règle précise permettant d’établir cette distinction entre le terrain nécessaire et le terrain inutile ? Les seigneurs, généralement soutenus par les corps délibérants, demandaient la plus grosse et la meilleure part du sol, sinon la totalité, tandis que les communiers réclamaient le maintien des anciens droits et, quand on ne leur donnait pas raison, détruisaient souvent de vive force les haies ou autres espèces de clôture établies par les seigneurs. Thomas Morus parle dans son Utopie de ces continuels empiétements des « nobles et gentils qui enclosent tout pour en faire des pâtures, renversant les maisons, déracinant les villages

  1. Furrow long, « longueur de sillon », soit 220 yards ou 660 pieds (201 mètres) : c’est la huitième partie du mille de terre, English ou Statute mile.