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l’homme et la terre. — les monarchies

laisser guider encore par les seigneurs, qui l’avaient défendu si étrangement sur les champs de bataille, qu’il ne l’aurait pu, puisque les nobles se trouvaient presque tous dans les camps étrangers. Il ne lui restait plus qu’à « faire jacquerie » contre les Anglais, comme il l’avait fait plus d’une fois contre les nobles. Le désespoir lui conseillait toutes les folies, et c’est pour cela qu’il se précipita à la suite d’une bergère inspirée. C’était insensé, disaient les gens de guerre, mais la France fut délivrée. Du moins pour un temps, la lutte cessa d’être un tournoi de chevalerie, et les femmes, les paysans s’y lancèrent en toute sincérité, se servant des armes qu’ils possédaient et qu’ils surent d’ailleurs manier avec plus de force et d’adresse que les fils des paladins n’avaient su manier les leurs. La fortune changea de parti et, les unes après les autres, les villes murées, les provinces furent reprises aux Anglais. Par un magnifique exemple, le peuple des opprimés et des battus montra que l’on pouvait se passer des rois tout brodés d’or et des prélats magnifiques : aussi fut-ce par un instinct très sûr de l’intérêt de classe que le roi Charles VII abandonna Jeanne d’Arc qui l’avait couronné (1429), et que les prélats, archevêque en tête, la convainquirent de sorcellerie, de pacte avec le diable, et la brûlèrent sur une place de Rouen (1431). Ceux même qui, de nos jours, continuent la tradition conservatrice de la royauté et de l’Eglise s’efforcent maintenant de placer Jeanne la Pastourelle au rang de « Sainte ». Après un demi-millénium, c’est un repentir tardif.

L’intervention directe du peuple dans ses propres affaires reconquit graduellement le territoire national. Paris revint à la France en 1436, et les Anglais, que commandait Talbot, firent à Castillon (1453) leurs derniers efforts de résistance, bientôt suivis de la soumission de Bordeaux qui vit la résistance inutile. Les deux places de Calais et de Guines restèrent seules au pouvoir de l’Angleterre, parce qu’elles se trouvaient enclavées en domaine bourguignon.

De part et d’autre l’épuisement des peuples était complet. Sans doute, les expéditions, les manœuvres et les batailles ayant eu lieu sur le territoire français, c’est la que la misère et la faim causèrent le plus de maux, mais si la guerre de Cent ans ne ravagea pas directement le sol de l’Angleterre, la situation des vainqueurs ne fut guère moins misérable que celle des vaincus. D’abord, les Anglais eurent beaucoup à souffrir du brusque débarquement de pirates normands, bataves, arabes ou turcs,