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l’homme et la terre. — les monarchies

quement constituée, qui se maintient dans le jeu spontané de sa vie économique, indépendamment des changements politiques et des divisions administratives ; mais le grand État féodal de la Bourgogne était en pleine révolte contre la réalité des choses : d’un côté, les campagnes riveraines de la Saône, de l’autre, les plaines des Flandres formaient les deux extrémités de cet ensemble hétérogène. Dijon, Bruges en étaient les deux capitales, et de l’une à l’autre cité, si différentes par l’aspect, les habitants, le milieu, les seules routes étaient des chemins de guerre traversant des territoires étrangers, des fiefs alliés, des possessions d’un jour. Il arriva même que le centre de gravité du duché de Bourgogne se porta complètement du côté des Flandres : Bruges devint non seulement la ville la plus importante du domaine bourguignon, elle prit rang parmi les cités « mondiales » et peut-être fut-elle la première dans l’Occident européen. Vers 1400, le mot « Flamand » était devenu en Angleterre et ailleurs une expression courante, synonyme de « marchand », de même que « Lombard » avait pris le sens de « prêteur, manieur d’écus ». Les industries des lainages, des velours et autres étoffes, des tapisseries, des bijoux avaient donné le premier rang aux Flandres parmi les contrées de l’Europe. Et cela, grâce à la liberté de la production et des échanges pour toutes marchandises autres que les denrées alimentaires. Dans les premières années du quatorzième siècle, Edouard II d’Angleterre, ayant voulu faire exclure les traitants écossais des marchés flamands, s’attira du duc cette réponse, depuis bien oubliée par la majorité de ceux qui détiennent le pouvoir : « Notre pays de Flandre est en société avec le monde entier et l’accès en est libre a chacun » ! Il savait se battre aussi : à la bataille de Roosebeek, contre Charles VI, en 1382, neuf mille drapiers gantois, la moitié du contingent, se fit tuer sur place avec Philippe van Artevelde. Il n’existait alors ni droits protecteur ou différentiels, ni primes d’aucune sorte, et la décadence ne commença qu’avec le système de « protection » introduit par les ducs de Bourgogne, guerriers et centralisateurs. Plus le joug politique pesa lourdement sur les Flandres, plus le commerce périclita[1].

Les princes de Bourgogne, disposant des richesses inespérées que l’industrie ouvrière avait amassées dans leur résidence et dans les autres villes des Flandres, en jouirent avec une prodigalité sans exemple, que

  1. Alphonse de Hauteville, les Aptitudes colonisatrices des Belges, pp. 112 à 119.