Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome IV, Librairie universelle, 1905.djvu/152

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
128
l’homme et la terre. — les monarchies

mal des étrangers : ils voulaient rester maîtres chez eux et la lente infiltration française les gênait moins que les brusques irruptions de l’Angleterre. Sans doute, leur duc ne demandait qu’à les trahir et plus d’une fois rendit hommage au roi d’Angleterre, mais la résistance des populations le ramenait du côté français et ce fut là un événement de capitale importance dans l’histoire de l’Europe occidentale. Si la Bretagne, ce bloc de granit, n’avait résisté aux Anglais, comme les îles de ses rivages contre le flot, si, s’interposant entre la Normandie et l’Anjou[1], elle n’avait rompu la continuité des possessions de l’envahisseur, la France berrichonne et champenoise eût été certainement conquise par la France angevine et aquitaine sous l’hégémonie anglaise, et l’on peut évoquer toutes les conséquences heureuses et néfastes que cette victoire aurait eues pour chacun des pays intéressés, pour leurs voisins et pour la civilisation mondiale enfin !

Naturellement le peuple de France, villes et campagnes, essaya d’utiliser en faveur de l’émancipation le désarroi dans lequel étaient tombées la royauté et la chevalerie. Notamment les bourgeois de Paris crurent l’occasion propice lorsque le roi Jean le Bon, retenu comme otage par les Anglais, faisait mendier dans tout le royaume le paiement de sa rançon. L’autorité des nobles fut si bien abolie dans Paris que les titres furent même considérés comme une flétrissure. C’est ainsi que, lors de la destruction du château d’Ermenonville par ordre du prévôt Etienne Marcel, le châtelain Robert de Lorris fut forcé de renier « gentillesse et noblesse » pour avoir la vie sauve avec femme et enfants, il jura mieux aimer les bourgeois et le « commun de Paris » que ses parents et anciens amis, les nobles[2]. Mais les seigneurs, expulsés de Paris, avaient encore trop de prestige et de pouvoir héréditaire sur la population des campagnes pour accepter ainsi leur déchéance : avant de périr, la féodalité, impuissante contre l’étranger, eut assez de cohésion pour se venger de la foule haïe des bourgeois et des manants révoltés. Paris ne jouît pas longtemps de son indépendance municipale.

Avant cette époque, qui fut également celle de la « Jacquerie », il y avait eu de tout temps des révoltes de paysans contre les exactions intolérables des pressureurs et la brutalité des nobles. On peut citer en exemple la belle fédération de paysans qui se forma dans le Velay,

  1. J. Michelet, Histoire de France, t. II.
  2. Siméon Luce, Histoire de la Jacquerie, pp. 115, 116.