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l’homme et la terre. — les monarchies

purent se laver les mains des supplices en les attribuant à l’exaspération populaire. Il en fut de même quand on fit rendre le sang dont s’étaient gorgées d’autres sangsues : pour remplacer les Templiers brûlés, il ne manqua pas de Lombards ni de Flamands !

A cette époque, le pays des Flandres, comprenant au point de vue politique une zone d’étendue considérable où se parlait la langue française, était, sur le versant océanique de l’Europe, la région dont la bourgeoisie avait pu se dégager le plus complètement de l’ancienne tutelle ecclésiastique et où les pratiques industrielles et commerciales avaient le plus librement suivi leur évolution. Vis-à-vis du roi de France revendiquant la suzeraineté féodale, les villes flamandes représentaient un mouvement presque républicain, mais elles ne possédaient malheureusement pas cette unité de vouloir qui donne le succès définitif : dans chaque ville deux classes étaient en lutte incessante, patriciens et plébéiens, donnant alternativement la victoire à chaque parti et permettant à d’habiles ambitieux de déplacer à leur profit l’enjeu de la lutte. C’est ainsi que les gens du peuple se trouvèrent combattre, non pour leur propre cause, mais pour tel ecclésiastique démagogue, heureux de se faire comte et chef d’armée : de leur côté, les riches citoyens des Flandres, devenus leliaerts ou « gens du lys », étaient par cela même tenus comme Français et, qu’ils le voulussent ou non, luttaient pour l’asservissement politique de leur patrie. La liberté sociale que rêvaient quelques-uns ne pouvait s’obtenir en un pareil chaos et devait forcément dévoyer. Tout d’abord, en 1302, les prolétaires remportèrent, près de Courtrai, une de ces victoires mémorables où l’on vit une foule anonyme d’ouvriers et de paysans triompher des princes et des barons : ce fut dans l’histoire des artisans un fait analogue à celui qui se produisit quelques années plus tard, à Morgarten, dans l’histoire des montagnards. Et à Courtrai, ce furent aussi bien les habitants de la Flandre méridionale que ceux de Bruges qui culbutèrent les chevaliers « aux éperons d’or » de Philippe le Bel ; quand Fouquard de Merle convoquant le peuple de Douai lui demanda quel parti il entendait prendre dans la guerre qui s’engageait, tous s’écrièrent : « Tos Flamens, tos Flamens estons ! Pardieu ! Fouquard, por nient en parleis, car tos summes et serons Flamens[1] ! ».

  1. O. des Murez, Revue de l’Université de Bruxelles.