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les juifs, usuriers royaux

insensée parcourut la France, incitant le peuple aux plus cruelles abominations. Le bruit s’était répandu que les Juifs avaient imaginé un poison assez virulent pour détruire toute la chrétienté, à condition qu’il fût administré par les « mésiaulx » ou lépreux. L’horrible histoire
lépreux tenant la cliquette
D’après un vitrail de la cathédrale de Bourges, xiiie siècle.
ne trouva pas d’incrédules et de toutes parts on se précipita sur les maladreries pour y « bouter le feu : en Aquitaine et en une grande partie de la Franche-Comté tout li mésiel furent ars ». La peur instinctive de la contagion contribuait sans doute à jeter le peuple dans cette atroce frénésie, mais le roi lui-même, qui eut « si grant volonté de tenir ses sujets en bone paiz et en bone amour », lança trois ordonnances successives pour livrer les « lépreux fétides », hommes, femmes et enfants au-dessus de quatorze ans, aux rigueurs de la « justice », de la torture et du bûcher : à Chinon, 160 lépreux et lépreuses furent brûlés le même jour[1].

A un point de vue tout à fait général. On peut dire que les Israélites auraient certainement fini par s’accommoder graduellement au milieu chrétien, parmi les nations de l’Europe au moyen âge, s’ils avaient continué d’être indispensables et si l’âpre concurrence de banques chrétiennes ne les avait écartés. Les grandes persécutions se produisent à l’époque où l’on commence à n’avoir plus besoin d’eux. Les moines Templiers, les « Lombards », les changeurs florentins, ayant appris à manier l’or, l’argent et les pierres précieuses avec autant d’habileté que les Juifs, découvrirent également tous les secrets du crédit et, par leurs agents et correspondants, établis dans toutes les villes de l’Orient, sur la route des Indes et de la Chine, ils s’enhardirent bientôt à soutenir la lutte contre les Juifs. Ceux-ci, devenus inutiles, furent fatalement écartés ; ils succombèrent, et leurs rivaux triomphants

  1. Lehugeur, André Lefèvre, Quelques années du bon vieux Temps, Revue de l’Ecole d’Anthropologie de Paris, nov. 1901, pp. 351 et suiv.