Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome IV, Librairie universelle, 1905.djvu/126

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
102
l’homme et la terre. — les monarchies

sens inverse. C’est là qu’aboutit la voie historique de tout temps suivie entre le Danube et le Rhin, et doublée même au temps de Charlemagne par un canal de jonction entre les deux fleuves ; Frankfurt était, de Vienne à la mer du Nord, le principal lieu d’étape pour les marchands ; en outre, la grande route de l’Est se dirigeant vers la brèche de la Saxe, entre les montagnes de la Thuringe et celles de la Franconie, avait également Frankfurt comme lieu de diramation dans le bassin rhénan, et d’autres routes moins importantes s’y rattachaient aussi. On comprend donc que la ville ait acquis dans le mouvement des échanges de l’Allemagne une très grande force d’attraction et que le monde politique y ait eu son centre temporaire. Elle devint la ville électorale des empereurs, et son hôtel de ville, dit Rômer ou « le Romain », en garde comme un reflet de Rome, la capitale virtuelle de l’empire.

Quelle autre cité de l’Allemagne aurait pu prendre une prépondérance incontestée, alors que l’empire, à frontières toujours flottantes entre les Français à l’Ouest, les Slaves à l’Est, les Italiens au Sud, se trouvait divisé à l’intérieur en une multitude de souverainetés et de fiefs aux limites non moins changeantes, et que le suzerain, pris successivement en diverses familles, déplaçait fréquemment sa résidence, appelé de-ci ou delà suivant les oscillations de la politique et les hasards de la guerre ? Souvent même l’empereur séjournait en dehors de l’Allemagne, tel Frédéric II dans sa ville italienne de Lucera, au milieu de Normands et de Sarrasins. Par ses massifs de montagnes, et plus encore par ses vastes forêts parsemées d’étangs, l’Allemagne était partagée en contrées bien distinctes et toutes d’assez grande importance pour balancer mutuellement leur pouvoir. Tandis qu’en France, le bassin moyen de la Seine, uni à celui de la Loire, avec Paris pour centre de gravité, l’emportait évidemment en cohésion et en puissance sur le cercle de terres basses entourant le massif central des plateaux et des monts, où fallait-il chercher le foyer vital par excellence dans cette vaste Germanie, s’étendant du Rhin à la Vistule ? La grande vallée rhénane elle-même se décomposait en deux régions aussi différentes au point de vue de l’histoire qu’à celui de la géologie : au Nord Cologne équilibrait en population et en gloire les villes du bassin méridional, Strasbourg, Spire, Mannheim, Worms, Francfort et Mayence. Le grand bassin de la Bavière, où le haut Danube entraîne les gaves puissants des Alpes, formait aussi une région naturelle où devaient se constituer des centres politiques