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l’homme et la terre. — les monarchies

naissante. Dès l’année suivante se réunissait un parlement dans lequel nombre de villes et de bourgades étaient représentées chacune par deux bourgeois qui discutèrent en des conditions d’égalité avec les mandataires nobles des comtés, élus également au nombre de deux pour chaque circonscription. Cette innovation, qui devait survivre à l’ascendant du comte de Leicester, est évidemment l’origine de la chambre des Communes, dont l’histoire se confond avec celle de l’Angleterre elle-même et qui exerça sur le monde entier, par la force de l’exemple et de l’imitation, une influence si considérable pendant les siècles qui viennent de s’écouler.

Le langage des Anglais se modifiait en même temps que les mœurs et les institutions politiques. En arrivant en un pays étranger, où tous les habitants parlaient une langue différente de la leur, Guillaume le Conquérant et ses barons n’avaient point essayé d’imposer leur parler français aux populations assujetties ; au contraire, par l’expression de leur pensée, il leur plaisait de se sentir autres que la multitude asservie : cela même constituait à leurs yeux une incontestable supériorité. Mais, par la durée de la domination, les seigneurs et ceux qu’ils avaient amenés avec eux apprirent peu à peu l’anglo-saxon, tandis, que le français se répandait chez les Anglais : le vocabulaire de chacune des deux langues, s’enrichissait par des emprunts et, bien que les ordres, les décrets, les actes légaux fussent toujours publiés en langue populaire afin que la foule des sujets pût les comprendre, des termes franco-normands s’y mêlaient de plus en plus nombreux. Puis, deux cents ans après la conquête, lorsque tous les barons parlaient déjà l’anglais entre eux et que leurs fils étaient, obligés d’apprendre le français comme une langue étrangère, se produisit ce fait étrange que l’anglais fut abandonné dans tous les documents politiques et légaux pour laisser la place au français comme langage officiel, C’est que Rouen avait été pendant longtemps la vraie capitale de l’Angleterre, ou du moins la résidence la plus habituelle de la cour, et que la France exerçait une force d’attraction puissante comme royaume à conquérir en entier. Toutefois ces efforts d’en haut furent impuissants contre la poussée qui se produisait dans la masse populaire. En 1362 l’anglais remplaça le français à l’ouverture du Parlement et des tribunaux, et l’usage exclusif de la langue nationale fut ordonné pour les débats et les plaidoiries[1]. La pédanterie juridique maintint néanmoins

  1. W. Denton, England in the fifteenth Century, pp. 4 à 6.