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l’homme et la terre. — les monarchies

Ce qui sauva peut-être la continuité de la monarchie française sous la forme qu’elle présentait alors, ce fut la résidence du pape Alexandre III (1163&minus ;1165) dans le pays du « fils aîné de l’Église ». Louis VII, auquel son hôte pontifical avait remis la « rose d’or », emblème de piété parfaite, put bénéficier du double prestige de la royauté et de la sainteté. Alexandre, établi dans sa ville de Sens, devenue momentanément une véritable Rome, était alors le vrai souverain, protecteur du roi de France. Pendant ce temps, Henri II se mettait dans une situation périlleuse à regard de l’Église par ses « constitutions » de Clarendon (1164), en vertu desquelles les prélats catholiques devenaient de simples vassaux et les terres d’église étaient assujetties à l’impôt royal. Le meurtre de Thomas Becket, archevêque de Canterbury (1170), accompli par des chevaliers empressés de faire leur cour au roi d’Angleterre, souleva contre lui de telles indignations qu’il dut même reculer et demander pardon à l’Église. Ces épisodes fournirent un nouveau répit au roi de France. Puis les dissensions de famille, la révolte des fils de Henri retardèrent encore les ultimes annexions qui semblaient inévitables ; enfin Barberousse lui-même, craignant un rival à l’empire d’Allemagne dans cet ancien comte d’Anjou, qui s’avançait en conquérant jusque dans les Alpes, intervint quelque peu en faveur de Louis VII. Par un remarquable contraste, ce pauvre roi bigot, plutôt moine que chevalier, fut peut-être le suzerain de France sous lequel l’idée de l’unité géographique du pays et son existence virtuelle comme grand État se préparèrent le mieux dans les esprits.

Aidé par ses alliés naturels, qui étaient la terre elle-même et les affinités qui se forment entre gens ayant langage et culture en commun, le successeur de Louis VII, Philippe II, put reconstituer en grande partie le domaine sur lequel son père n’avait eu que des droits fictifs de suzeraineté : après de grands périls auxquels il sut échapper bien plus encore par la ruse que par la force, il réussit enfin à restaurer le royaume. En 1206, Philippe arrache à Jean sans Terre la Normandie, la Bretagne, la plus grande partie de l’Anjou et de la Touraine, puis, devenu chef d’un grand État, il remporte la victoire de Bouvines (1214), à la fois sur les troupes anglaises de Jean sans Terre et l’armée allemande de l’empereur guelfe, Otton IV. On lui donne le surnom d’ « Auguste » qu’il mérite pleinement, non par la noblesse de son caractère, mais par le succès de ses entreprises. Pourtant il ne recouvra point l’Aquitaine,