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l’homme et la terre. — les communes

et de l’Orient, les monuments publics commençaient à se différencier : on apprenait à bâtir des palais municipaux où les marchands bourgeois traitaient spécialement leurs affaires et celles de la cité, et des beffrois où veillaient des sentinelles, guettant les dangers qui se préparaient au loin ; mais l’édifice vers lequel se dirigeait surtout la foule des artisans, soit pour discuter des intérêts, soit pour se reposer du travail de la journée par la promenade dans les nefs sonores, par la conversation et la vue des choses belles, ce palais du peuple était toujours le sanctuaire à la triple colonnade : c’est à l’église que tout le peuple était convoqué par la grande voix de la cloche, la voix même de la cité, sur laquelle les prêtres n’avaient aucun droit[1].

La commune construisait le monument sur un plan d’autant plus grandiose et avec d’autant plus de richesse qu’elle-même était plus puissante : les cités, devenues assez libres pour braver leurs barons et leurs évêques, dressaient leurs cathédrales bien plus à leur propre gloire qu’à celle de Dieu, tandis que les villes dont les tentatives de révolte n’avaient pas réussi ne possédaient que de tristes, froides et pauvres églises. C’est en raison même de triomphantes insurrections communales que surgissent les fiers édifices comme pour entrer en lutte avec les manoirs voisins, appartenant aux seigneurs détestés. « Les villes qui les premières se font autonomes sont aussi les premières à bâtir des cathédrales gothiques (Noyon, Soissons, Laon, Reims, Amiens, etc.), et les plus beaux de ces monuments sont ceux des cités les plus libres (Laon, Reims, Amiens, Beauvais, Sens, etc.)[2]. Chaque cité libre se rappelait la parole qui fut prononcée dans le conseil communal de Florence quand Arnolfodi Lapo fut chargé de bâtir la cathédrale, en 1298 : « Les œuvres de la commune doivent être conçues de manière à répondre au grand cœur, composé des cœurs de tous les citoyens, unis en un même vouloir. » On comprend l’orgueil des bourgeois à la vue de ces merveilleux édifices qui étaient leurs œuvres. Lorsque le duc de Normandie, Henri Beauclerc, eut fait prisonnier Conan[3], le communier rebelle, il le mena au sommet d’une tour de Rouen : « Contemple les forêts et le fleuve, contemple la ville populeuse, ses remparts et ses belles églises, contemple toutes ces choses avant de mourir ! »

Etonnés par la grandeur des églises construites au douzième et au

  1. J. Michelet, Histoire de France, XVI, p. 95.
  2. Raoul Rosières, Ouvrage cité, p. 258.
  3. Hanoteaux, Société Normande de Géographie, 1900, t. I, p. 24.