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l’homme et la terre. — orient chinois

l’empereur de Chine, dans le sens de « Maître de la Terre ».

La force productive merveilleuse du Hoang-tu a permis aux « Cent familles » de croître et de multiplier, de constituer une très grande nation d’agriculteurs, ayant toutes les qualités dues à la profession, l’économie, la force d’endurance, la résignation dans le malheur, l’étroite intimité familiale. Le paysan des Terres jaunes cherche à ne faire qu’un avec la glèbe qui le nourrit ; en maints districts, il économise le sol précieux avec tant de parcimonie qu’il n’a pas voulu en employer la surface pour sa maisonnette et ses granges : c’est dans l’intérieur du lœss qu’il creuse sa demeure ; il vit au-dessous de ses propres champs, tendant l’oreille pour entendre la semence percer le sol. On comprend quelle énergie patiente, quelle ténacité, quelle force invétérée d’atavisme pareille existence a dû donner aux laboureurs des Terres jaunes, et combien les émigrants de ce pays étaient amplement armés pour transformer en magnifiques terres de culture les plaines alluviales que parcourent le Hoang-ho et ses coulées effluentes, de même que les bords du Yang-tse.

Le Chinois par excellence naquit certainement dans les Terres jaunes. Mais si l’on peut dire qu’il a été en grande partie formé par le Hoang-ho, on doit reconnaître aussi qu’il a dû lutter incessamment contre le fleuve, faire son éducation qui n’est point encore terminée. Dans la région du bas fleuve, toute culture est exposée à de terribles retours, puisque le cours d’eau, arrivant au sommet de son talus de déjection, à 150 mètres d’altitude environ, se trouve comme suspendu au-dessus des plaines basses du littoral et doit forcément se déverser tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, suivant la quantité des alluvions qui s’amassent sur les berges latérales. On sait quels désastres causa le Hoang-ho à ses changements de cours : au milieu du dix-neuvième siècle, par exemple, lorsque, cessant de couler au sud-est, il se rejeta vers le nord-est, inondant les campagnes, rasant les villes, s’étalant en lacs et en marécages. Il faut restaurer, renouveler incessamment les digues et laisser aux eaux de crue un lit majeur extrêmement large ; en certains endroits, l’écart entre les levées n’est pas moindre de 22 kilomètres. Les villes riveraines, entourées de murailles, finissent par se trouver comme au fond de trous, le sol qui les entoure ayant été graduellement exhaussé par les apports fluviaux. Kaï-fong, la gardienne de la porte de sortie, est une de ces villes disposées en forme de puits :