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l’homme et la terre. — chevaliers et croisés

continuateurs du passé, c’est encore dans le passé qu’elles cherchaient leur point d’appui.

Au milieu du douzième siècle, Arnaldo de Brescia, le compagnon de luttes de Pierre de Brueys et d’Arrigo, l’élève et disciple d’Abélard, le moine républicain, le tribun farouche, entouré de « gens couverts de poils », tenta cette œuvre à double but, à la fois révolutionnaire et restauratrice. Il voulut en même temps abattre le pouvoir des prêtres et reconstituer l’antique république Romaine. Déjà, dans une première entreprise, il avait réussi à soulever les nobles cités lombardes : Brescia, sa patrie, Pavie, Milan et leurs sœurs du nord, d’Asti jusqu’à Trévise. Ayant contre lui le pape et l’empereur, il put cependant lutter pendant des années, tant il trouva de solidarité dans ces bourgeoisies naissantes, trop instruites pour croire à la divinité du pontife, trop fières de leur supériorité en civilisation pour respecter un empereur du Nord barbare. Il avait dû fuir cependant, mais, toujours aux aguets, il trouva le moyen de revenir, et, cette fois, dans Rome même, grâce à la dissension de deux papes qui s’excommuniaient l’un l’autre. C’était en 1146. Son premier soin fut de rétablir la république de la Rome antique, telle qu’il pouvait se l’imaginer par les écrits anciens et par la tradition ; il créa un ordre équestre, médiaire entre les sénateurs et les plébéiens, fit nommer des consuls pour présider le Sénat, et des tribuns pour défendre le peuple. Amaldo ne se donna point la peine de faire nommer un anti-pape par les citoyens, ce qui lui évita peut-être d’attirer contre la Rome républicaine la croisade que songeait à prêcher saint Bernard ; mais il limita, autant que cela lui parut possible, la souveraineté de l’empereur, autre ennemi qui, du moins, avait à ses yeux l’avantage d’être l’adversaire de la papauté[1].

Par une étrange fortune, cette restauration de la république ou plutôt cette résurrection d’un état de choses disparu depuis douze cents ans se maintint quelques années comme en parfaite ignorance du pouvoir des pontifes, dans le siècle même qui pouvait promulguer, comme le dogme politique par excellence, la domination universelle de l’Eglise sur le monde des fidèles. Mais la foi vivante qui fait des prodiges manquait aux citoyens de Rome, et quand l’orage s’amassa du côté du

  1. Sismonde de Sismondi, Les Républiques Italiennes.