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l’homme et la terre. — chevaliers et croisés

dans les vaux écartés, et qui se montrait de nouveau dans les contrées de la plaine et du littoral, d’où elle avait disparu depuis des siècles. Le pays d’Albi, certaines régions du Languedoc occidental et la grande ville de Toulouse furent les lieux du midi où les fidèles accueillirent avec le plus de faveur les annonciateurs de la « noble leçon », débarrassée de ses prêtres, dégagée de tous ses ornements inutiles et coûteux. Un passage des écrits de Pierre le Vénérable, abbé de Cluny, nous montre les Toulousains abattant les croix comme de hideux symboles des tortures et de la mort. Les capitouls, conseillés par le Vaudois Pierre de Brueys, l’ardent missionnaire de la foi pure, auraient ordonné la destruction des croix de la ville, que l’on porta sur la place du Capitole pour en faire un immense feu de joie ; il servit, la veille de Pâques, à la préparation d’un grand banquet public[1].

Aux éléments d’hérésie spontanée provenant, les uns, de la simple révolte matérielle de paysans opprimés par les grands seigneurs ecclésiastiques, les autres, de l’inégalité du mouvement d’évolution religieuse suivant les différents milieux géographiques, vinrent naturellement s’ajouter les hérésies proprement dites, venues de loin à travers le temps et l’espace. Tout le résidu des sectes gnostiques échappé aux persécutions de l’Eglise s’agrégeait de son élan à ceux que la force des choses lui donnait pour alliés, et souvent ils se fondirent en un même corps religieux et politique. C’est ainsi que les Kathares ou les « Purs », qui faisaient remonter leur origine spirituelle aux Manichéens de l’Iran et de l’Asie Mineure, furent peu à peu confondus avec les « Vaudois » et disparurent avec eux dans la même tourmente, lorsque les barbares du nord de la France vinrent se ruer sur le Midi. Ces « Bons Hommes » — car tel était le nom qu’on leur donnait d’ordinaire à cause de la pureté de leur vie — différaient pourtant beaucoup des Vaudois par les traditions et par la complexité de leurs dogmes : tandis que les montagnards des Alpes s’étaient bornés à simplifier leur religion en la débarrassant de l’ingérence ecclésiastique et en se contentant de la « noble leçon », simple résumé de morale tirée des Evangiles, les Kathares étaient des théologiens raffinés visant à la perfection par la souffrance et les pratiques difficiles. Mais tout s’extériorise dans le monde matériel, rien ne reste dans le pur

  1. Nap. Peyrat, Les Réformateurs au douzième Siècle, pp. 71, 72.