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l’homme et la terre. — chevaliers et croisés

influence analogue que des siècles plus tard, les soldats français d’Algérie se changèrent en « zouaves » et en « spahis ». La morale se modifia également, de même que la manière de penser. L’évolution qui se fit dans les esprits des Croisés obéit à deux forces, celle de la mère-patrie d’où ils venaient, celle de la contrée dans laquelle s’accomplissait leur œuvre. On le constata bien par les ordres de chevalerie qui naquirent dans la tourmente des Croisades et dont le caractère pratique, issu de la situation nouvelle, est tout différent de l’ancienne chevalerie, qui se donnait un idéal inaccessible, par exemple, comme dans nos contes de fée, de délivrer une princesse enfermée dans une tour de diamant, au milieu d’une forêt inextricable ou d’une mer de feu défendue par d’affreux dragons. Les chevaliers des Croisades se fixent un objectif moins difficile à réaliser, mais autrement sérieux, puisqu’il s’accorde avec les devoirs humains. L’ordre des Hospitaliers, qui appartenait officiellement à la grande famille monacale des-Augustins, ne pouvait se constituer qu’en pays étranger, là où les frères en la foi risquent de ne trouver aucun asile en ville, village ou moutier, là où il importe de rencontrer des amis sûrs au milieu des plus âpres ennemis, d’improviser des camps de refuge dans le désert ou les monts pierreux, de frayer des routes aux voyageurs et aux pèlerins, de soigner les blessés et les malades, de savoir à la fois manier l’épée et verser le cordial de guérison. Nul doute que les Hospitaliers n’aient reçu en Orient la tradition d’autres secoureurs, les Nestoriens, dont, les hospices se succédaient jusqu’en Chine sur les passages neigeux des montagnes et dans les oasis des solitudes.

Les Templiers ou chevaliers du Temple, ainsi nommés du siège même de leur société, dans les salles du palais bâti sur les vestiges du Temple de Salomon, tachèrent résolument de réunir en leurs personnes les deux pouvoirs spirituel et temporel, d’être à la fois moines et guerriers, de porter la robe et l’épée. Comme les prêtres, ils prononçaient des vœux, ils bénissaient et maudissaient, ouvraient les portes du paradis et celles de l’enfer, et, comme chevaliers, ils accomplissaient sur cette terre les décisions qu’ils avaient formulées pour la vie future. Tout d’abord cet ordre acquit une force redoutable, et les papes hésitèrent à prendre au service de l’Eglise de si puissants défenseurs. Mais saint Bernard, qui dirigeait alors le monde chrétien, rédigea les statuts de leur ordre (1128) et dirigea leurs premières entreprises politiques