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l’homme et la terre. — chevaliers et croisés

lem, puis conquérir la moitié des cités du littoral, entr’autres Saint-Jean d’Acre et Tripoli de Syrie. Cette dernière ville possédait une bibliothèque admirable, probablement la plus belle qui existât encore dans le monde : les barbares de l’Occident, fidèles aux traditions chrétiennes, ne pouvaient manquer de la livrer aux flammes ; ainsi que le fait remarquer Ramsay, les Croisés de cette époque ne savaient pas griffonner leurs noms sur les rochers comme les soldats grecs, quinze cents ans auparavant[1]. D’autres barbares vinrent bientôt se joindre aux Francs, de vrais Norvégiens, au nombre de dix mille, arrivés directement sur une flotte de soixante navires, ayant contourné par le libre océan tout le continent d’Europe. Sous la conduite de Sigurdr, ils prirent part au pillage et, par la prise de Sidon, contribuèrent à l’accroissement du royaume de Jérusalem. Entre-temps, des centaines de mille Croisés de l’Europe occidentale, Français, Italiens, Allemands, venus par la voie de terre, en 1101, avaient péri jusqu’au dernier sur la route de Syrie, par la faim, la soif, les fatigues, les maladies et le glaive des Turcs.

Evidemment, la logique des choses voulait qu’un point géographique isolé de son territoire naturel, comme l’était la ville de Jérusalem sans tous les massifs de montagnes avoisinants et sans les passages de l’Euphrate, restât une conquête extérieure au monde chrétien et par conséquent très difficile à garder. Il eût fallu pour cela y employer toutes les forces de l’Europe latine et germaine, mais celles-ci étaient loin d’être unies en un même sentiment. Les plus barbares apportaient le plus de foi dans leur entreprise, tandis que les plus avisés, les habiles marchands de Gênes et de Pise, ne se préoccupaient guère que de leurs intérêts. Même chez ceux qui semblaient tout dévoués à l’œuvre de délivrance, l’initiative déviait fréquemment vers les avantages personnels ou les satisfactions nationales. En outre, les questions d’ordre intérieur dans les différents États devenaient de plus en plus urgentes et diminuaient l’importance relative de la possession du Saint-Sépulcre. Aussi quand la ville forte d’Edesse, qui défendait le littoral syrien contre les Musulmans, fut tombée entre les mains de l’habile et persévérant Zenki, en 1144, la chute prochaine du royaume chrétien de Jérusalem dut paraître inévitable. C’est en

  1. Geographical Journal, oct. 1903, p. 384.