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nombre des croisades

l’alliance de Dieu et de Mammon ! Et l’Empereur de Bysance, Alexis Comnène, écrivant aux barons de l’Occident, leur dit avec autant de cynisme que Bonaparte s’adressant à l’armée d’Italie : « Si tant de maux, si leur amour pour les saints apôtres ne soulèvent pas les chrétiens, que leur cupidité soit du moins tentée par l’or et l’argent détenus en abondance par les infidèles, qu’ils songent à la beauté des femmes grecques »[1] ! Et puis la chance du salut éternel promis par les prêtres devait agir peu ou prou, même sur ceux qui ne croyaient qu’à demi : le pape proclamait la remise de leurs péchés à tout homme qui prenait la croix, et le voyage en armes assurait le paradis. N’était-ce pas admirable d’expier tous les crimes antérieurs de violence et de meurtre en se donnant le plaisir d’en commettre de nouveaux, mais cette fois contre les Musulmans ?

Bien avant que les croisades eussent commencé officiellement, elles étaient déjà en pleine réalisation. Il serait juste de dire que le mouvement dura sept ou huit cents années, depuis la rencontre de Charles Martel avec les Maures dans le Poitou et la Septimanie jusqu’aux expéditions de Charles Quint sur les côtes Barbaresques. Les guerres continues des Espagnols du nord contre les Arabes du sud constituaient seulement la part occidentale du grand conflit ; là, le contact immédiat des belligérants entretenait incessamment la bataille ; tandis que, plus à l’est, d’une extrémité à l’autre de la Méditerranée, les rencontres demandaient de longs préparatifs et donnaient lieu à de plus amples massacres. Les annales montrent qu’en énumérant toutes les expéditions, petites et grandes, il y eut bien plus de six ou huit croisades[2]. Un besoin de classement de belle ordonnance a porté les historiens à ne décrire que les plus importantes de ces expéditions pour ne pas se perdre dans la confusion des détails ; mais à toute occasion des bandes plus ou moins fortes, des groupes de pèlerins armés, même des pillards isolés continuaient de se rendre en Terre sainte, grossissant les armées, en comblant les vides, ou disparaissant en route.

Avant de conquérir la Palestine, le premier acte devait être de déblayer la Méditerranée qui appartenait en entier aux Arabes. Déjà, au commencement du onzième siècle, en 1015 et en 1016, les flottes de

  1. Moine Robert ; Guilbert de Nogent, Hist. Hieros., cités par Raoul Rosières, ouvr. cité, pp. 240, 241.
  2. Raoul Rosières, Recherches critiques sur l’histoire religieuse de la France, p. 239.