Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome III, Librairie universelle, 1905.djvu/560

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
540
l’homme et la terre. — chevaliers et croisés

quent entre les deux orbites. Quant aux raisons alléguées de part et d’autre, réellement trop mesquines pour avoir pu naître de convictions profondes, elles n’étaient que de misérables prétextes : l’usage du pain azyme, celui du lait, le nombre des jours de jeûne, la teneur et l’ordre des chants, les inclinaisons ou génuflexions observées pendant les fêtes, autant de vétilles qui n’auraient pu séparer des communautés ardemment unies dans un même élan de foi. Qu’une importance quelconque ait été donnée à de telles futilités montre combien grande était au fond l’indifférence générale des fidèles ; qu’ils se soient laissés ainsi diviser en deux troupeaux, désormais ennemis parce qu’ils ne se connaissaient plus, prouve qu’ils obéissaient à des intérêts politiques et non à la conviction intime. D’ailleurs, bien avant d’être proclamé d’une manière officielle, le schisme entre les deux Eglises existait déjà. Vers la fin du cinquième siècle, moins d’une centaine d’années avant que se fût accompli le phénomène de gemmiparité entre les deux empires, la scission avait commencé : des volontés diverses, des survivances différentes, des oppositions de nationalités et de mœurs avaient donné aux deux Eglises une physionomie distincte, indépendamment de la contradiction des dogmes. Ce qui manifeste l’union apparente au delà de sa véritable durée, ce fut le prestige de Rome, la « ville » par excellence ; d’ailleurs, elle avait l’avantage d’être, en Occident, la seule capitale religieuse, à l’exception toutefois d’Aquileja, remplacée au sixième siècle par Grado, qui avait aussi un patriarche, tandis qu’en Orient, Constantinople partageait le pouvoir suprême avec Alexandrie, Antioche et Jérusalem.

La reconstitution de l’empire d’Occident avec Charlemagne accrut encore le contraste des conditions politiques et religieuses entre les deux moitiés de l’Europe : les intérêts de la papauté l’obligèrent à se tourner en entier vers des souverains d’origine barbare, trônant en des cités du nord brumeux, loin de la Ville éternelle. Le pape — ainsi qu’on appelait déjà l’évêque de Rome — ayant excommunié Photius, patriarche de Constantinople, pour cause d’insubordination, celui-ci répondit, en 867, par une accusation détaillée dans laquelle il reprochait à l’Eglise d’Occident non seulement des pratiques contraires à la tradition, mais aussi des hérésies. L’écart des croyances et des rites se trouvait ainsi définitivement constaté, mais la prudence l’emporta longtemps sur les haines et les rancunes, car aucune des deux