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l’homme et la terre. — carolingiens et normands

été d’établir nettement l’importance des peuples germaniques et de leur assurer la possession incontestée de domaines politiques constitués en États distincts. A l’époque même où, sous le gouvernement de Charlemagne, la race tudesque arrivait à prendre l’hégémonie parmi les peuples, un autre ensemble ethnique, celui des Slaves, — jadis désignés sous les noms très généraux de Scythes, Sarmates, Hyperboréens —, commence à se préciser dans l’histoire et à s’unir en communautés d’États subissant déjà l’influence directe du christianisme et de la civilisation gréco-romaine.

Au commencement de l’histoire écrite des peuples européens, Phéniciens et Grecs n’avaient qu’une idée fort vague des immenses régions du Nord inclinées vers d’autres mers et peuplées de races ayant des mœurs différentes de celles des Méridionaux. Ce monde dans lequel ils ne pénétraient pas était resté assez obscur pour qu’on en racontât non l’histoire, mais des fables et des légendes merveilleuses auxquelles d’ailleurs devait se mêler un peu de vérité. Ainsi les récits que fait Hérodote sur les « Scythes laboureurs qui sèment le blé non pour le consommer, mais pour le vendre »[1] nous prouvent que les Grecs avaient quelques notions de ces riches contrées à « terre noire » qui produisaient des céréales en abondance pour l’exportation. Mais au delà, disait-on, l’espace était complètement inhabité, « les lieux n’étant ni visibles, ni abordables, à cause des plumes répandues sur le sol ». En effet, dit Hérodote, « quiconque a vu la neige tomber à flocons pressés sait que les flocons ressemblent à des plumes »[2]

La vie des « Scythes », telle que la décrivent les auteurs anciens, est bien celle que déterminait la nature du sol et du climat. Si les laboureurs résidants ou à demi sédentaires utilisaient les terres les plus fertiles, le gros de la nation, trop peu nombreux pour la vaste étendue du territoire, se composait de pasteurs poussant devant eux, de steppe en steppe, des troupeaux de bêtes domestiquées, chevaux, bœufs et brebis. Les descriptions qu’on en donne sont, à peu de chose près, celle que, dix siècles plus tard, les chroniqueurs font des Huns, et qu’ils répètent, d’autres siècles ensuite, à propos des Mongols. Les Scythes vivaient en plein air ou sous la tente ; lors des voyages de migration, les femmes travaillaient paisiblement sur

  1. Histoires, livre IV, § 17.
  2. Livre IV, § 7 et 30.