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l’homme et la terre. — carolingiens et normands

parcouru pendant le jour le long de la côte et qu’il avait limité par deux bûchers flambants élevés l’un à l’apparition, l’autre au coucher du soleil[1]. Puis des subdivisions eurent lieu, de manière à fournir chaque paysan de champs pour ses cultures et de pâturages pour ses bestiaux. L’opinion publique islandaise consacra si bien le principe de la « terre aux paysans » qu’il s’est maintenu quand même jusqu’au dix-neuvième siècle à travers toutes les révolutions économiques.

En peu d’années le peuplement complet de toute la partie des côtes islandaises où peut vivre l’homme, même des districts tournés vers le pôle, était achevé[2], et bientôt l’île eut un nombre d’habitants aussi considérable, peut-être même plus considérable que de nos jours. Sans doute, l’île est fort étendue, puisqu’elle occupe une superficie égalant à peu près un cinquième de la France ; même au point de vue du climat, elle possède certains avantages, car sa température moyenne — jusqu’à 5 degrés et davantage au-dessus du point de glace — est notablement plus élevée que ne le permettrait d’espérer sa haute latitude. Mais ce privilège, dû aux eaux tièdes apportées par les courants du sud sur les côtes occidentales et même partiellement sur les côtes septentrionales, peut être supprimé en certaines années par la prépondérance du courant froid polaire qui vient frapper les rivages de l’est et se continue sur le littoral du sud : il arrive parfois que l’île est défendue au sud par un cordon de banquises et que les ours blancs débarquent de leur véhicule de glace pour ravager les troupeaux. Suivant le balancement des eaux tièdes ou froides, l’hiver d’un même lieu peut présenter d’une année à l’autre des écarts d’une quinzaine de degrés. Les giboulées de tempêtes sont presque constantes pendant la saison du printemps, si douce et si charmante en tant d’autres contrées de l’Europe. Les forêts ne se composent pas d’arbres, mais de faibles arbrisseaux, et même manquent-ils complètement en de vastes districts. Jusqu’à l’époque moderne, où des explorateurs tenaces ont réussi, à force d’énergie et grâce aux ressources que fournit la science, à reconnaître tout l’intérieur du pays, nombre de territoires étaient inabordables à l’homme à cause de leurs neiges ou de leurs glaces, de leurs torrents aux alluvions mobiles et fuyant sous les pas ;

  1. Ernest Nys, Le haut Nord, pp. 6, 7.
  2. On admet généralement qu’à la fin du douzième siècle l’Islande comptait 120 000 habitants, il y en aurait eu moins de 40 000 au dix-huitième siècle. Le recensement de 1901 a donné environ 78 000 habitants.