Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome III, Librairie universelle, 1905.djvu/524

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
504
l’homme et la terre. — carolingiens et normands

nèrent aussi leur religion sans trop de répugnance, car un changement de pays et d’existence s’accommode volontiers d’un changement de dieu ; mais la passion des aventures et des batailles que les dangers de la mer et les hurlements des tempêtes avaient donnée à leurs ancêtres se maintint longtemps dans les âmes des Normands français : l’influence de l’ancien milieu continua d’agir dans le nouveau, et ce fut la vieille impulsion des Viking qui poussa Guillaume le Conquérant à la conquête de l’Angleterre et plus tard les Tancrède à l’occupation de l’Italie, de même que les marchands de Dieppe et d’autres lieux normands à l’exploration des Canaries et de l’Afrique. Jusqu’au treizième siècle, le titre de « chef des pirates » fut considère comme un titre d’honneur en Normandie et en Angleterre : le vieux sang des Viking coulait encore dans les veines de leurs marins.

A l’orient de l’Europe, un travail analogue de poussée ethnique entraînait les Scandinaves, Normands et autres à l’invasion des terres circumbaltiques. Les Varègues ou Varinger avaient soumis à leur domination les Finnois, les Ehstes et les Slaves du littoral et se tenaient prêts à profiter de toutes les occasions favorables d’accroître le nombre de leurs sujets. Des rosslagen ou communautés d’industriels et marchands d’outre-Baltique s’établirent en maints endroits des plaines sarmates, vers le confluent des routes naturelles, et servirent de centre à la domination politique. Les désunions des Slaves fournirent la circonstance propice et, en 862, les trois frères Rods ou « Russes », Rurik, Sineus et Truvor, entrèrent en vainqueurs dans le pays des grandes plaines orientales, qui se dit aujourd’hui la « sainte » Russie, comme si ce nom même ne rappelait pas l’humiliation de la conquête : d’après les étymologistes, le mot « Russe » serait dérivé du terme finnois Rodsen, ayant le sens de « Rameurs ». La Suède est encore pour les Finnois le pays des Russes ou des Rameurs, Ruotse Moa, tandis que la Russie a gardé pour eux son ancienne appellation Wenne-Moa, le pays des Wendes.

L’empire des trois frères, réuni plus tard sous la domination du seul Rurik, ne comprenait d’abord que la partie de la Russie actuelle qui s’étend au sud et au sud-est du golfe de Finlande, vers la haute Volga, avec la cité de Novgorod pour centre : mais les aventuriers varègues, constamment renforcés par de nouvelles recrues, ne pouvaient pas se contenter de commander pacifiquement les territoires