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l’homme et la terre. — carolingiens et normands

flotte, il disait à ses hommes : « Quand vous rencontrerez une barque, commencez par la piller ; si l’équipage est chrétien, nous lui rendrons la moitié de ce que nous lui aurons pris, car il faut bien aider ses frères ; si les hommes sont païens, nous remercierons Dieu. »

L’exigence des convertisseurs chrétiens relativement à la division du temps en périodes de sept jours aurait été l’une des causes qui retardèrent le plus l’établissement du christianisme chez les populations du haut Nord. Ces gens simples ne comprenaient pas pourquoi on voulait leur imposer un groupement des jours contraire à leur coutume, sous prétexte que Dieu s’était repris à six fois pour faire le monde et s’était reposé le septième. Ce mode de régler le temps était devenu général dans l’empire romain à la fin du deuxième siècle, et les Germains l’avaient adopté, très probablement deux ou trois cents ans après[1]. Mais les hommes du Nord, accoutumés à suivre le cours des saisons, à travailler pendant les longues journées d’été, à rapprocher les fêtes pendant les nuits hivernales, se refusaient à ces interruptions régulières de la vie normale de sept jours en sept jours, hiver comme été. D’autre part, les maîtres ne voulaient pas nourrir leurs esclaves aux jours de repos, et de leur côté, les esclaves se refusaient à observer les jours de jeune[2].

C’est vers les îles et les côtes occidentales de l’Europe que se porta l’effort des pirates normands. Dès l’année 795, ils s’étaient emparés de l’île Ralhlin, à l’angle nord-oriental de l’Irlande, et, de ce point d’appui, ils commandaient les fjords de l’Ecosse et de la mer dite actuellement de Saint-Georges. Bientôt ils occupèrent les Hébrides, puis, dès le commencement du neuvième siècle, ils attaquent l’île sainte de Iona, d’où tant de missionnaires étaient partis vers les terres voisines. Ils s’installent comme en un centre de conquête dans la longue péninsule de Catnibh, dite aujourd’hui de Caithness, ainsi que dans l’île de Man, qui leur appartint longtemps et doit même à cette ancienne domination de constituer encore officiellement un royaume distinct de l’empire Britannique. Une sorte de division du travail s’était produite dans l’œuvre de conquête. Tandis que les Norvégiens s’étaient attribué la colonisation des îles du Nord, Shetland et Orcades,

  1. Geffroy, Rome et les Barbares, p. 116.
  2. Ernest Nys, Le haut Nord, p. 26.