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l’homme et la terre. — carolingiens et normands

bizarrement dans toutes les vallées latérales entre les roches polies par les anciens glaciers ; sur les escarpements et les plateaux, de sombres vallées de conifères contrastent avec les coulées ou les nappes de neige. Partout la nature se montre grandiose et formidable, sans autres tableaux riants que ceux des villages, entourés d’un cercle de prairies, qui se blottissent dans les courbes du littoral.

Les clans de Normands ou Norvégiens qui avaient trouvé dans les vallées de prolongement des fjords assez de terrains fertiles pour leur alimentation et qui possédaient en outre dans les eaux voisines de très abondants viviers de pêche étaient dans les meilleures conditions pour constituer de petites républiques fédératives ayant toutes pour domaine naturel le cirque de montagnes dont leur havre principal était le centre. Isolées les unes des autres par des rochers, des forêts et des neiges, la plupart de ces communautés purent garder longtemps leur autonomie, et la valeur morale des individus en initiative et en courage s’en accrut d’autant. Ainsi le district de Trondhjem, moins hérissé d’âpres montagnes que les autres régions du littoral, au sud-ouest et au nord-est, s’était naturellement divisé en huit fylke ou petites confédérations républicaines, correspondant à autant de vallées. Les habitants du pays, désignés sous le nom de Traender, étaient assez nombreux pour former un groupe de population puissant, mais aucun des villages n’eût accepté la domination de l’une des autres communautés : toute décision relative aux intérêts de tous était librement discutée dans les fylke par les citoyens, laboureurs et pêcheurs. Mais directement au sud de Trondhjem, de l’autre côté des cols relativement peu élevés (670 mètres) s’ouvrent les larges vallées lacustres et fluviales qui s’inclinent vers le fjord de Kristiania et les campagnes de la Suède : dans ces contrées méridionales de la Norvège, soumises de tout temps aux influences germaniques d’outre-mer, — nous l’avons encore vu au début du vingtième siècle, — le pouvoir royal s’était déjà fortement constitué à l’époque de Charlemagne et menaçait également les petits chefs ou jarls ainsi que les communes républicaines. On raconte que, d’après la loi dite de Försten — l’une des confédérations des Traender —, les hommes libres ou buendi avaient pour devoir strict de tuer tout prince ou tout roi qui se serait emparé de leur bien ou aurait violé la paix de leur maison. Une légende, celle du chien-roi, témoigne des sentiments dans lesquels on tenait la royauté. Les gens de Trondhjem,