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cycle littéraire de charlemagne

en réalité non point un roi vainqueur mais une nationalité vaincue, celle des Gallois, des Écossais, des Bretons. Malgré les Angles et les Jutes de la Germanie, le peuple opprimé des Celtes se redressait dans la personne d’Arthur et redevenait, lui aussi, le modèle de toute chevalerie, l’idéal de toute vertu, le héros d’une croisade de justice et de bonté bien autrement belle que le furent les classiques croisades contre les Sarrasins.
roland et roger.
Bas-reliefs au-dessus de la porte de la cathédrale de Vérone

Mais à cette époque, tous, à l’exception de quelques mystiques, rêvaient de violences et de guerres ; même les meilleurs, ceux qui avaient l’ambition de mourir pour une bonne cause, ne pouvaient s’imaginer une société de paix dans laquelle l’action s’exercerait uniquement par la douceur de l’enseignement et le zèle de la propagande. De toutes parts se préparaient les agressions entre chrétiens et sarrasins, entre prétendus civilisés et envahisseurs barbares. Les contrées les plus paisibles étaient les régions extrêmes de l’ouest, situées précisément en dehors du chemin des invasions et des guerres, la Bretagne et les Galles, c’est-à-dire les deux pays de rocs et de montagnes où, grâce à l’indépendance relative des populations, avait pu naître la littérature vengeresse de la race celtique, représentée par les personnages d’Arthur et de Merlin. Quant à l’Irlande, elle dut aussi à son isolement, dans une mer éloignée du continent, les avantages de la paix. N’ayant été conquise ni par les Romains ni par aucun des peuples migrateurs qui renversèrent l’empire, l’ « Ile d’Emeraude » avait gardé dans les mœurs de ses différents groupes ethniques une singulière originalité.