Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome III, Librairie universelle, 1905.djvu/493

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
473
charlemagne et la papauté

le monde entier et en dehors de laquelle on ne voyait que le chaos.

Maître absolu, le « grand » Charles entendait bien que sa domination fût reconnue comme le principe de toute autorité politique et sociale. Aussi se garde-t-il, quoi que les écrivains ecclésiastiques aient prétendu à cet égard, de reconnaître chez le pape, vicaire de Jésus-Christ, une prééminence, même spirituelle, sur sa propre personne
Trésor impérial de Vienne.
couronne de charlemagne
impériale. S’il conserve au pape les présents de territoires faits par son père, si même il accroît le patrimoine de l’Eglise, il ne confère ces domaines qu’à titre de fief et il n’en reste pas moins le souverain du prêtre qui représente dans l’Occident l’unité de la foi catholique. Mais cette unité, c’est à son profit qu-il veut la réaliser ; c’est pour affermir sa puissance qu’il utilise la force ecclésiastique et la subordonne à son pouvoir. Le serment ordinaire de fidélité ne lui suffisant plus, il exigea de ses feudataires qu’ils lui jurassent une deuxième fois obéissance comme au « chef de l’Eglise ». Et d’ailleurs, c’est lui qui distribuait les évêchés et en nommait les titulaires ; il n’hésitait pas à modifier les décisions des prélats ni à leur dicter les résolutions à prendre.

Mais il est vrai qu’à d’autres égards, Charlemagne sacrifia très imprudemment l’avenir de la société civile à la caste ecclésiastique, en assurant l’inamovibilité des biens donnés à l’Eglise : la mainmorte livrée aux monastères devait être, à la longue, une concession bien autrement dangereuse que la reconnaissance du pouvoir temporel des papes. Tant que les moines, issus du peuple, avaient dû travailler à côté des gens du commun et défricher le sol avec les roturiers, ils avaient continué de participer à la vie nationale, mais dès que, par la