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l’homme et la terre. — carolingiens et normands

Charbonnière et en prenant d’abord pour capitale Tournai, puis Soissons, la domination passait aux rudes Austrasiens qui, venus directement de leurs âpres contrées d’entre Rhin, Meuse et Moselle, campaient dans la France orientale en bandes de plus en plus nombreuses et redoutables. Les hommes représentatifs de ces nouveaux envahisseurs furent Karl Martel, Pépin le Bref et Charlemagne, le Barbare qui restaura l’Empire, ancêtres d’une singulière énergie, auxquels devait succéder une descendance encore plus rapide à s’avachir et à s’effondrer que celle des Mérovingiens.

Les Gaules, moins l’âpre Bretagne, tel était l’héritage que Charlemagne recueillit après la mort de son père Pépin puis de son frère Karlmann ; mais ces domaines n’étaient qu’une faible partie du monde connu, et Charles, qui bientôt devint le « Grand » en vertu de ses victoires et de ses massacres, était de ceux qui veulent tout avoir : du moins put-il réussir à constituer à son profit l’unité du monde chrétien de l’Occident ; il l’agrandit même notablement du côté de l’est, en pays germanique. Vers le sud, de l’autre côté des Pyrénées, il n’eut qu’un demi-succès, puisqu’à l’ouest de la chaîne, ses chevaliers, battant en retraite, furent écrasés par les Basques au défilé de Roncevaux, et qu’à l’est, après de nombreux faits d’armes, il n’arriva point à dépasser le cours de l’Ebre. Ses grands triomphes s’accomplirent à l’est du Rhin, de la Weser et de l’Elbe, contre ses frères de race, les Saxons et autres populations guerrières de l’Europe centrale.

Charlemagne personnifie la vague immense de reflux qui, succédant à la migration des peuples de l’est à l’ouest, quelques centaines d’années auparavant, précipite les Occidentaux vers l’Orient et reporte plus avant les frontières du monde déjà latinisé ; Allemand et barbare, mais assoupli par la culture, Charlemagne symbolise ainsi la civilisation latine contre les Germains, la foi chrétienne contre le paganisme.

C’est d’une main terrible qu’il écrase les tribus germaines qui lui résistaient. Dès sa première campagne, il abattit la colonne symbolique, Irminsul, où les adorateurs voyaient, dit-on, l’image de la force créatrice par excellence, et les Saxons se retiraient de forêt en forêt, derrière les larges fossés des fleuves. La guerre incessante prit un caractère atroce. Sur les bords de l’Aller, 4 500 Saxons prisonniers furent décapités. En 804, lorsque les vaincus se rendirent enfin à merci, le vainqueur n’emmena pas moins de dix mille otages pour garantir la