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l’homme et la terre. — arabes et berbères

de l’Aude par l’armée du duc d’Aquitaine : elle fut obligée de repasser précipitamment les Pyrénées.

Un deuxième effort rend les Arabes maîtres de la Cerdagne, et, de nouveau, ils s’épanchent à droite et à gauche : à l’est, pour occuper le littoral méditerranéen, s’emparer de la cité d’Arles, puis remonter au nord par la vallée du Rhône et de la Saône et redescendre jusqu’à Sens, dans le bassin de la Seine : à l’ouest, pour entrer dans la vallée de la Garonne, forcer les passages des rivières au nord de l’Aquitaine et s’engager dans la voie historique de la Charente à la Loire. Les Arabes arrivent jusque dans Tours, et bientôt se produit le grand choc entre les deux races, les deux religions, les deux cultures que représentent ici l’armée d’Adb-er-Rahman, là celle de Charles Martel. Le conflit eut lieu sur les bas plateaux de Sainte-Maure — la localité portait ce nom avant l’invasion arabe —, entre Tours et Poitiers, dans ce détroit des nations indiqué géographiquement pour la rencontre entre gens du Nord et du Midi.

La bataille fut acharnée, la déroute des Maures effroyable (732). Du coup, ils perdent l’Aquitaine, toute la partie sud-occidentale de la Gaule, et l’on ne retrouve plus leur sang que chez les descendants de fuyards, cachés dans les marais du littoral et qui s’étaient hâtés d’embrasser la religion des vainqueurs. Sur les côtes de la Méditerranée, la lutte dura plus longtemps, et sept années seulement après la bataille décisive de Sainte-Maure, les Francs de Charles Martel, unis aux Lombards de Luitprand, réussirent à repousser complètement l’invasion maure de la Provence et du Languedoc.

Cependant des bandes isolées restèrent maîtresses de châteaux forts et de massifs montagneux, formant citadelle. Ils furent longtemps possesseurs du groupe de ces monts forestiers que, d’après eux, on appelle encore « des Maures », et, du village culminant, Fraxinatum, la Garde-Freinet ou « Château du Frêne », ils commandèrent aux populations des districts environnants : pendant plus de quatre-vingts ans (890 — 973), ils en firent leur principal entrepôt de butin pour leurs expéditions dans les régions de montagnes jusque dans la Suisse valaisanne ; un Monte Morro y témoigne, entr’autres, du séjour des Arabes. Vers 945, ils étaient les maîtres de Grenoble, sous le nom de « Sarrasins », et possédaient toute la riche vallée du Graisivaudan. Se considérant comme chez eux, ils s’occupaient de la culture des terres, épou-