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l’homme et la terre. — orient chinois

dans le pays de nombreux îlots turcs, tels les Chiringol et les Salor du Hoang-ho, au sud de la Grande muraille, et les Yagur de la haute Edsina.

Actuellement, la plupart des peuplades turques en relations directes avec la Chine sont cantonnées par refoulement dans le cirque immense de la Kachgarie ; en cette arène de forme régulière, qu’entoure presque complètement un cercle de montagnes sur un pourtour de trois à quatre mille kilomètres, leurs bandes se sont trouvées prises sans pouvoir continuer leur route ni revenir sur leurs pas. De même que dans un golfe où les courants portent des alluvions de toute provenance, les éléments les plus divers se sont mélangés confusément pour former les tribus diverses d’Uriankhes, Dsungares, Kirghiz et Tartares en variétés sans fin. Dans ce tournoiement des races et des sous-races entremêlées, maint groupe, rejeté loin de ses parents d’origine, apprit à parler la langue des ennemis et finit par oublier la sienne : chaque révolution nouvelle, chaque immigration de fuyards déterminait une accommodation changeant avec le milieu. On constate toutes les transitions possibles entre l’Aryen, le Turc de race pure et le Mongol typique. D’ordinaire la différence des religions a fini par devenir le principal élément de classification conventionnelle et les buddhistes sont dits Mongols, tandis que les convertis à l’Islam sont tenus pour des Turcs. Mais la véritable opposition est celle que présentent les tribus de profession diverse, les pasteurs et les agriculteurs, ceux-ci toujours paisibles de nature, tandis que les autres transforment facilement leur houlette en lance de pillards, voleurs ou guerriers.

À ce point de vue, les populations nomades qui occupent la longue zone de plateaux et de plaines entre Sibérie et Chine, les Mongols et les Mandchoux, ont eu souvent une part d’action très puissante sur l’histoire de toutes les nations d’Asie. La frontière séculaire de leur pays a été rendue visible, pour ainsi dire, par une « Grande muraille » qui d’ailleurs n’empêcha point leurs invasions dans les époques de poussées ethniques : un rempart peut arrêter des bandes pour un temps, mais il ne saurait en rien modifier les conditions économiques générales qui entraînent la rupture d’équilibre entre les nations. Le fait capital est qu’en vertu de la différence des sols, des eaux, du climat, il y a contraste nécessaire entre le genre de vie, les occupations, les mœurs, le mode de sentir et de penser de ceux qui vivent au nord