Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome III, Librairie universelle, 1905.djvu/457

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion
437
religion de la perse

avertis : la fatalité du milieu fait de ces personnages avisés d’admirables hypocrites. Des pèlerins chiites, marchant vers La Mecque avec des Sunnites forcenés, se donnent volontiers pour des sectateurs de cet Omar qu’ils maudissent intérieurement comme le génie du mal, comme le démon sous forme humaine.

D’ailleurs la plupart des pèlerins de l’Iran s’arrêtent avant d’arriver à la Kaaba ; ils se bornent à franchir le Tigre et l’Euphrate pour visiter les villes saintes de Kerbela et de Nedjef ; ce voyage, quoique de moitié plus court, est tenu pour tout aussi méritoire, et pour les morts c’est le pèlerinage par excellence. Les Chiites s’imaginent que la sainteté particulière de cette terre sacrée des rives fluviales provient de ce qu’elle reçut les dépouilles de leurs premiers martyrs, Hussein et ses enfants ; mais, sans le savoir, ils obéissent à une superstition bien plus ancienne, car c’est dans ce district que des milliers et des milliers d’années avant nous, avant l’islamisme, le christianisme et le mazdéisme même, les Chaldéens possédaient leurs immenses nécropoles d’Érekh ou de la « cité du Livre ». Tout le sol de la région est un cimetière immense depuis les temps immémoriaux, et la terre qu’on retire des fosses pour faire place aux morts se débite en gâteaux sacrés, en briquettes fétiches qui servent d’amulettes aux pèlerins.

De même que l’individualité religieuse de la Perse s’était reconstituée, de même l’individualité politique essaya plusieurs fois de renaître. De petits États indépendants tentèrent de se fonder, presque tous à une distance considérable du rebord des hautes terres, car la puissance des khalifes était trop grande en Mésopotamie pour que les Perses limitrophes pussent rêver d’indépendance : les États rebelles eurent leur centre de pouvoir à Bokhara, à Kirman, à Raï ou Rhaga, non loin de la Téhéran actuelle, puis dans la gracieuse Nichapur, l’ancienne et fameuse Nisaæa, où la légende grecque, héritière d’un mythe des mazdéens, fait naître Dionysos, le dieu niséen ou Bacchus.

Cependant l’influence de la Perse conquise se fit sentir sur les Arabes victorieux, même en dehors de l’Iran. On a constaté que les khalifes abbassides, cette dynastie de Bagdad qui s’établit au milieu du huitième siècle et à laquelle appartint le fameux Harun-al-Rachid, présentent dans leurs mœurs et leur gouvernement un caractère qui les rapproche beaucoup plus des rois perses que des premiers souverains arabes (E. Renan).