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l’homme et la terre. — arabes et berbères

iraniennes rappellent le mazdéisme. Ainsi la fête par excellence est restée celle de l’équinoxe du printemps, du Neurouz, pendant laquelle on glorifiait Ormuzd et Mithra. De même si les musulmans qui se conforment à la règle sont absolument iconoclastes, il n’en est pas ainsi des Persans : ceux-ci ont des images dans leurs maisons, dans leurs mosquées même, et peignent volontiers le personnage d’Ali : seulement la tête du « lieutenant » reste toujours recouverte d’un voile, soit parce qu’il n’a pas paru possible de violer aussi hardiment les ordres du Coran en des œuvres d’une aussi grande importance rituelle, soit, comme on le répète, parce qu’il serait impossible au peintre de représenter la perfection des traits du divin Ali. Le ciel, la terre, l’enfer de l’Iran sont restés peuplés des mêmes génies et des mêmes démons qu’il y a trois mille ans, comme si les successeurs de Mahomet n’avaient pas conquis le pays et ne lui avaient pas imposé par l’épée des formules nouvelles[1]. Enfin les Persans, n’osant plus transgresser la loi qui leur interdit d’épouser leur sœur, comme le voulait l’habitude, se marient-ils presque toujours avec une cousine germaine.

Il peut être nécessaire aux pèlerins et aux marchands de Perse qui s’aventurent au loin parmi les musulmans sunnites de se gérer avec prudence pour éviter l’insulte, les violences ou la mort : aussi ont-ils une réputation bien établie de souplesse et de ruse. Il est parfaitement convenu parmi les Iraniens que l’on peut en toute hardiesse dire un mensonge pourvu que l’on fasse en même temps une énergique restriction mentale. Les jésuites n’ont pas inventé cette façon de rester en paix avec Dieu, en se bâtissant, pour ainsi dire, au dedans de soi, un temple de la vérité, et en laissant des paroles impures et menteuses souiller la bouche. Cette vertu d’adaptation, devenue indispensable aux ambitieux et aux esclaves, est ce que les Persans désignent du terme de keiman : ils sont des plus habiles dans leur correspondance pour donner au langage deux sens bien distincts, l’un destiné au public, au gouvernement, à la police malveillante, l’autre à l’usage des initiés. De même que dans le moyen âge européen jusqu’à la Renaissance, et pour les mêmes raisons, les écrivains cherchaient à cacher leur enseignement réel sous une forme extérieure anodine, de même les auteurs de l’Iran écrivent à la fois pour la foule ignorante et pour leurs disciples

  1. James Darmesteter, Parsi-ism : its Place in History, p. 10.