Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome III, Librairie universelle, 1905.djvu/452

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
432
l’homme et la terre. — arabes et berbères

plaine mésopotamienne. Tout en guerroyant contre l’État qui représentait par excellence la religion rivale, les khalifes n’avaient plus dans l’élan de leurs fidèles une poussée suffisante pour sortir des plaines et des terres brûlées du midi, à travers les plateaux et les montagnes de l’Asie mineure.

Pourtant les Arabes firent des tentatives fréquentes pour surprendre la cité qui personnifiait en elle à la fois le monde chrétien et le prestige de la Rome antique. S’avançant en Anatolie par la porte de Cilicie, ils traversaient la Péninsule à marches forcées pour arriver rapidement à Constantinople ; mais ils avaient été précédés par les signaux de flamme qui s’allumaient de colline en colline, et l’on avait pris les mesures nécessaires pour empêcher le passage du Bosphore. Il est vrai qu’un certain empereur Michel, ennuyé de ce qu’on vînt le troubler à l’amphithéâtre pour lui annoncer l’invasion des Arabes, défendit (859) qu’on le fatiguât davantage par l’emploi de cette télégraphie gênante[1] ; mais à cette époque, les Arabes avaient déjà perdu leur première furie et par trois fois les essais de blocus qu’ils avaient faits par mer s’étaient terminés sans gloire et sans profit. Aussi Bysance put-elle continuer de servir de boulevard à l’Occident contre l’Islam pendant six siècles encore, et, quand elle succomba, ce fut sous les coups d’une autre race que celle des Arabes.

Les changements opérés en Perse par la conquête arabe furent d’une étonnante soudaineté : on eût pu croire qu’ils avaient été produits comme par un coup de foudre. Avant la formidable rencontre de Kadesiyeh, « la bataille des batailles », qui dura quatre jours, c’est par dizaines de millions que les Iraniens professaient la foi mazdéenne : quelques années après, tous les Persans, à l’exception de faibles communautés proscrites, se disaient musulmans. La force brutale le voulut ainsi, il avait fallu se convertir de force ou mourir, et comme il arrive toujours en pareil cas, les moins nobles s’étaient soumis, tandis que les meilleurs avaient subi la mort ; une sélection à rebours s’était accomplie. Les vaillants, les hommes à convictions fortes, ceux qui, suivant l’expression iranienne, « regardaient superbement les superbes », ceux-là tombèrent dans les combats tandis que le troupeau des

  1. W. M. Ramsay, Geographical Journal, oct. 1903, p. 101.