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l’homme et la terre. — seconde rome

conquête des plateaux de l’Érythrée. Plus tard, à l’époque de Justinien, le chemin qui, par l’Égypte et la mer Rouge, conduisait de Constantinople en Abyssinie, fut de nouveau usité : il s’agissait alors surtout d’ouvrir des rapports commerciaux entre la Méditerranée, l’Inde et la Chine en dehors des routes de Perse que suivait le trafic d’Occident en Extrême Orient : c’était un nouvel aspect de la lutte qui confrontait les deux royaumes sur l’Euphrate. L’empereur d’Orient envoya des ambassadeurs au roi d’Abyssinie pour se le rendre favorable et jalonner la voie de l’océan Indien, en même temps qu’il entrait en pourparlers avec les Turcs de la Sogdiane pour assurer au transport de la soie la voie de la mer Noire[1].

En dépit de ces relations avec le monde occidental, l’Abyssinie ne garda pas sous sa forme primitive l’enseignement des missionnaires qui avaient prêché la religion du Christ ; elle n’était pas apportée par un nombre de migrateurs suffisant, ni soutenue par une polémique assez ardente. Les doctrines actuelles du christianisme abyssin sont évidemment greffées sur un ancien fond païen appartenant au cycle des religions solaires. Ainsi toutes leurs églises sont rondes et leurs quatre portes s’orientent vers les points cardinaux ; les danses religieuses se font encore suivant le rythme du sistre de Baal ; des bûchers flambant, où l’on sacrifie des bœufs sans tache, se dressent toujours sur certaines collines, à la grande fête du Mascal, l’Élévation de la Croix[2].

De même dans l’Extrême Orient, le bouddhisme propagé par les moines hindous qui avaient pénétré dans la Kachgarie, la Mongolie, la Chine, le Japon devait se différencier par beaucoup de détails et par l’esprit même de la foi primitive, telle qu’elle avait été enseignée par le Çâkya-Muni : le temps et l’espace l’avaient complètement modifiée. D’autre part, lorsque des pèlerins chinois ne recevant plus aucun aliment religieux des pays originaires de la doctrine s’y rendirent dévotement pour s’enquérir des causes qui avaient tari la source de la vérité, leurs voyages, trop peu nombreux, n’eurent pas assez de force rénovatrice pour rendre aux bouddhistes de l’Inde la ferveur disparue. Ces pèlerinages, dont les plus connus

  1. Raymond Beazley, Medieval Trade and Trade Routes.
  2. J. Théodore Bent, Report on the 63d. meeting of the British Association, Nottingham, sept. 1893, pages 557 et suiv.