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l’homme et la terre. — seconde rome

À l’est, le grand adversaire presque égal en puissance fut l’empire persan. Sa position géographique était si forte, sur un plateau bien protégé à l’ouest par le multiple rempart du Zagros et par les avant-postes fortifiés échelonnés au pied des monts, dans la plaine du Tigre, que l’empire d’Orient, encore mal assis, n’était point de force à prendre une attitude agressive qui avait si souvent mal réussi à la puissance romaine dans tout son éclat : il se défendait plutôt. L’enjeu des batailles était le pays intermédiaire, la région montagneuse de l’Asie Mineure et l’antique Caucase. Détrônée en Perse au début du troisième siècle, tantôt protégée, tantôt trahie par les princes de Constantinople, la dynastie des Arsacides put, à travers les plus grandes difficultés, se maintenir en Arménie pendant plus de deux cents ans ; mais en 428, le dernier de ces rois, Varaztad, ayant été exilé dans les lointaines Shetland par ordre de Theodose[1], les deux puissances se confrontèrent et le royaume, déchiqueté, démembré, dépecé, se divisait par lambeaux dont les belligérants s’emparaient tour à tour. Sans doute cette contrée montueuse, avec ses multiples chaînes rayonnant autour de l’Ararat, possède de nombreux réduits et des positions stratégiques très bonnes pour la défense, mais l’histoire n’a que trop témoigné combien l’ensemble du pays était abordable de tous les côtés par des vallées divergentes.

Les déplacements fréquents des capitales ou centres principaux de population dans le Haïasdan, c’est-à-dire en Arménie, donnent une idée des fluctuations qui durent s’y produire pendant la succession des siècles, par suite des attaques ennemies, des refoulements et des émigrations forcées. Aux premiers temps, la légende nous dit que le patriarche Noé bâtit la mère des cités arméniennes, la fameuse Nakhitchevan, située dans une cuvette intermédiaire de l’Araxe et non loin des défilés au delà desquels se trouve la grande plaine de la Kura. Puis le centre du pouvoir se reporta plus à l’ouest, vers Armavir et son bois sacré, où les initiés entendaient leur destinée murmurée dans le feuillage des chênes. Une troisième capitale, dans la vallée du même fleuve Araxe, sur le chemin qui réunit Armavir et Nakhitchevan, fut la ville d’Ardachir où Artaxata, dont les fortifications, disent certains récits, s’élevèrent sur des plans dressés par Hanni-

  1. de Gobineau, Histoire des Perses, II, p. 511.