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l’homme et la terre. — seconde rome

Il semble en effet presque miraculeux que l’empire d’Orient, si souvent attaqué, envahi, ravagé jusqu’à Constantinople, se soit pourtant si fréquemment reconstitué, surgissant à nouveau de son désastre. Une résistance de dix siècles à tant de causes de destruction, intérieures et extérieures, eût été impossible à toute autre cité que Constantinople. D’abord la seconde Rome, devenue la seule aux yeux des peuples orientaux, acquit rapidement ce prestige extraordinaire qui avait valu à la première de durer si longtemps comme centre politique, puis de se perpétuer comme capitale religieuse, en vertu de son caractère auguste. En outre, la ville disposa toujours de ressources très grandes en hommes et en richesses. Enfin, et surtout, la position géographique de Bysance la rendait presqu’imprenable : à moins de disposer de plusieurs armées à la fois, l’envahisseur ne pouvait songer à bloquer une capitale de cette étendue, occupant deux presqu’îles, prolongeant ses faubourgs sur deux mers et sur les rivages de deux continents, disposant de très nombreuses issues vers la mer et vers la terre, sûre de recevoir toujours ses approvisionnements de l’un ou de l’autre côté. Même en plein siège, la population restait joyeuse et confiante à l’abri de ses murailles et du grand rempart de dix-huit lieues de longueur qu’Anastase avait fait construire de la Propontide au Pont-Euxin. Grâce à tous ces avantages de vitalité propre et de force défensive, Bysance put continuer l’empire Romain, et non toujours sans gloire, jusqu’à l’époque où le monde occidental, principal héritier de Rome, se fût pleinement reconstitué dans un nouvel équilibre.

Sur ses frontières du nord, l’empire d’Orient était moins bien défendu que celui d’Occident contre les incursions des barbares et se trouvait en outre exposé à un danger particulier. Ceux des peuples du Nord qui, descendant des plaines de la Sarmatie, voulaient se diriger vers l’ouest par le sud des Carpates pénétraient sans peine dans la basse vallée du Danube, mais s’arrêtaient dans leur marche dès qu’ils arrivaient aux défilés dits actuellement « Portes de Fer ». Ne trouvant plus route ni sentier, ils devaient obliquer à droite ou à gauche et, d’ordinaire, cherchaient à prendre les chemins du sud, qui les menaient vers les campagnes les plus fertiles, vers les cités les plus riches et populeuses, vers le littoral commerçant de l’archipel. Cette barrière placée en travers du bassin fluvial provoquait un remous préjudiciable aux riverains de la Mer Égée et de la Propontide, car