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moines de la thébaïde

les saint Antoine fuir les plaisirs et les conforts d’Alexandrie pour se macérer et souffrir de la faim, de la soif, de la chaleur atroce des jours, du froid des nuits, dans quelque âpre ravin du désert. On comprend donc l’admiration sans bornes que souleva le courage des ermites chrétiens, qui, sortant du monde des vivants, allaient en pleine solitude combattre le diable lui-même, sans autres armes que leur foi et l’efficacité de leurs exorcismes. Les premiers fugitifs chrétiens n’entreprirent cette lutte terrible que pour assurer le salut de leur âme souillée par le péché originel et sans cesse menacée par les tentations. « Celui qui reste en sa cellule, disait saint Antoine, échappe à trois ennemis, l’ouïe, la parole et la vue ; il combat seulement avec son cœur. » Hélas, l’histoire légendaire de ce personnage nous montre bien combien grande était son illusion : plus on veut éviter les dangers de la vie extérieure et plus devient terrible la lutte que l’on doit se livrer à soi-même ; si l’on échappe à la dure réalité, les pires hallucinations se présentent inévitables.

Ces anachorètes fuyant absolument le monde des tentations et du péché ne furent que des exceptions parmi les chrétiens : la plupart de ceux qui s’arrachaient à la société joyeuse allaient chercher en commun une vie nouvelle qui leur convînt, et finissaient par constituer des sociétés populeuses. On vit naître en Égypte de véritables cités de moines qui exercèrent une influence considérable sur révolution politique et religieuse de la contrée. C’est à des religieux, agissant en groupes ou isolément, qu’il faut attribuer la destruction de tant d’œuvres de l’ancienne Égypte, destruction par endroits si complète que l’esprit en reste frappé de stupeur : temples et villes incendiés, vases en matière dure réduits en éclats, ossements humains disloqués, fracassés, images des dieux pulvérisées[1], rien n’était assez violent pour marquer la haine du schisme et de l’idolâtrie. Plus d’une fois même ces forcenés envahirent en bandes la ville d’Alexandrie et y prirent part aux séditions et aux massacres. La belle et pure Hypatie, qui fut lapidée en 415 pour crime de philosophie, avait été signalée par les moines à la haine du peuple.

De l’Égypte, les institutions monacales se répandirent peu à peu dans l’Occident ; mais elles n’avaient pas encore de raison d’être et les

  1. Albert Gayet, Coins d’Égypte ignorés, p. 5, 20 et passim.