Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome III, Librairie universelle, 1905.djvu/394

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
374
l’homme et la terre. — barbares

titude, elle mérite que nous l’embrassions »[1]. Cette fois encore la peur de l’inconnu avait entraîné les ignorants à la suite de guides non moins ignorants, mais soutenus par une ardente foi.

Les « porteurs de bonnes paroles » ne manquaient pas d’exercer aussitôt une très grande influence sur les barbares naïfs dont ils conduisaient le culte. Ils succédaient aux magiciens d’autrefois, aux devins et jeteurs de sort, et leur valeur était doublée de ce qu’ils jouissaient de la confidence des nouveaux dieux. Leur rôle se trouvait singulièrement grandi dans les contrées de l’ancien empire où, par la force des choses, ils étaient devenus les arbitres entre diverses parties de la population. C’est ainsi que dans les Gaules, indigènes aussi bien que barbares voyaient également en eux des administrateurs naturels et des juges impartiaux. À la tête de la hiérarchie chrétienne, les évêques constituaient le seul organisme de la société tourmentée qui fonctionnât encore avec méthode et régularité : ils étaient les juges, les scribes et les conseillers. Chefs reconnus des résidants pacifiques au milieu desquels se présentaient soudain des envahisseurs barbares, ils le devinrent aussi de ces nouveau-venus, qui avaient besoin d’intermédiaires pour régir un peuple dont ils ne parlaient pas la langue et ne connaissaient pas les mœurs.

Au point de vue de la domination spirituelle, ce fut là le « bon temps » de l’Église. Durant cette première partie du moyen âge, les populations barbares n’étaient converties au christianisme que de confiance pour ainsi dire : au fond elles étaient si peu chrétiennes qu’elles ne savaient pas discuter leur foi. Les néophytes ne se perdaient pas plus en définitions dogmatiques que Théodose proclamant l’orthodoxie : « Je veux que tous mes peuples suivent la religion que pratiquent l’évêque de Rome, Damase et Pierre d’Alexandrie »[2]. Alors il n’y avait point d’hérésie, nulle protestation ne s’élevait contre les interprétations de la volonté divine, telles que les prêtres les promulguaient du haut des chaires. Tout était candidement admis, sans même qu’on se donnât la peine d’y croire[3]. L’esprit d’examen et la révolte contre le dogme ne devaient renaître qu’avec la résurrection de la pensée, en grande partie sous l’influence des Arabes et des Juifs.

  1. Hist. Ecc. Angl. 11, 13, trad. G. Kurth, Origines de la Civilisation moderne, tome II, pp. 18, 19.
  2. G. Boissier, La Fin du Paganisme, t. II, p. 340.
  3. Raoul Rosières, Recherches sur l’Histoire religieuse de la France, pp. 34, 35.