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estuaires des côtes britanniques

on voit comme d’elles-mêmes se dessiner les lignes qui rejoignent l’estuaire de la Tamise à celui de l’Itchin que masque l’île de Wight ; on reconnaît d’emblée, et bien mieux encore, la route naturelle, certainement fréquentée à l’époque gallo-romaine et même pré-bretonne, qui joint la vallée de la Tamise à la bouche de l’Avon, près de laquelle la cité de Bath s’élève depuis les temps romains, et celle de Bristol depuis le moyen âge. Bath se rattachait également à la rade de l’Itchin, où se trouve actuellement la ville de Southampton, par la voie tout indiquée qui contourne les chaînes sud-occidentales de l’Angleterre à travers la plaine de Salisbury. De même Wash et Tamise, Mersey, Dee et Severn étaient réunies par des routes sinueuses, qui longeaient, l’une les bords de marais et de terres basses, l’autre la base orientale des collines galloises. Enfin, des voies en diagonale se croisaient à travers la partie la plus massive de l’île : des alignements de villes anciennes rappellent le tracé primitif des grands chemins.

Bien « pincée à la taille » entre l’Écosse et l’Angleterre, l’île très allongée de la Grande-Bretagne présentait autrefois, plus au sud, un autre isthme naturel plus nettement caractérisé, non par la forme des rivages, mais par les propriétés du sol. Les estuaires, les marais à demi comblés, les broads ou nappes d’inondation s’étendaient au loin en roselières, les landes incultes, les forêts se développaient de la mer du Nord à la mer d’Irlande en une large zone, ne laissant vers le milieu que d’étroits passages. De la bouche de l’Ouse septentrionale à celle de la Mersey, l’Angleterre était coupée en deux, et, pour se rendre de la région du midi à celle du nord, les voyageurs avaient à prendre des guides pour cheminer par les sentiers difficiles des forêts, en évitant les fonds marécageux et les infranchissables tourbières. Une population rare, à demi sauvage, éparse en des îlots où les percepteurs d’impôts avaient peine à la trouver, vivait en ces terrains bas : les termes de « jenny » et de « moorish » appliqués à ces « maraîchins » étaient dans la langue usuelle synonymes de « rustres » et de « barbares »[1].

Venus des estuaires orientaux, les Angles, Jutes et Saxons qui pénétraient dans l’île devaient s’établir en suivant les routes que la nature leur avait tracées. Mais l’histoire n’a pas suivi leur marche :

  1. W. Denton, England in the fifteenth Century, pages 138 à 144.