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l’homme et la terre. — barbares

Cependant la première démarcation faite à travers le pays qui est devenu la Belgique viola nettement la frontière naturelle des idiomes, elle sépara de la Germanie les Saliens de la Flandre pour les donner aux Neustriens, et y fit entrer au contraire les Wallons de l’Ardenne, du Namurois et du Hainaut. Des siècles durant, de Gand à Arras, la Flandre et l’Artois furent réunis sous une même domination ; l’unité du pays se maintint malgré le caractère bilingue des populations, et il ne semble pas que les parlers différents aient jamais été cause d’animosité entre les sections du nord et du sud[1].

Dans l’ensemble on peut dire que la période dite « mérovingienne », d’un roi Mérovée qui n’a peut-être pas existé, consiste en son entier dans un travail deux fois séculaire d’accommodation politique et sociale entre les divers éléments de race qui ne formaient plus la Gaule romaine et qui n’étaient pas encore la France. D’ailleurs, l’invasion des barbares n’avait point cessé : non seulement elle continuait, mais elle substituait des familles énergiques à des générations vieillies, la première couche des barbares s’étant rapidement décomposée, putréfiée pour ainsi dire, dans un milieu de richesse et de luxe auquel ils n’étaient pas préparés. C’est au deuxième ban des conquérants, aux Pépin et aux Charles que devait appartenir le soin de repousser d’autres envahisseurs, les musulmans venus d’Espagne, et de constituer définitivement la France contre la poussée des populations germaniques.

Les Jutes, Frisons, Angles et Saxons, qui s’étaient d’abord campés dans l’île de Thanel et dans la presqu’île de Kent, poussèrent leur conquête avec une grande âpreté. Enfermés dans une île comme en un cirque, ils pourchassaient le gibier humain avec une terrible méthode, et nombre de leurs descendants, fiers du sang de vainqueur qui coule dans leurs veines, cherchent volontiers à établir que les Anglais actuels sont bien de pure race germanique. S’il en était vraiment ainsi, les Bretons auraient été simplement exterminés, sauf en Cornouailles et dans le pays de Galles. Toutefois, l’histoire ne raconte point ces destructions en masse, et les écrivains patriotes se sont laissés aller trop facilement à calomnier leurs aïeux. Comme la plupart des envahisseurs, les Angles et les Saxons ont été beaucoup plus utilitaires que féroces : la tourbe des vaincus leur fournit surtout des femmes et des esclaves ; dans les codes

  1. H. Pirenne, Histoire de Belgique, pp. 20, 21.