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l’homme et la terre. — barbares

Les migrations de peuples qui s’étaient faites dans la péninsule Ibérique avaient mis en branle des foules plus nombreuses, et les conséquences en furent plus durables. En l’an 600, sous Reccared, les Visigoths étaient toujours les maîtres de la contrée, mais la fusion morale, correspondant certainement à un croisement effectif des races, était déjà très avancée entre les Goths et les Espagnols latinisés. La langue de Rome reprenait sa domination et le culte catholique de la nation s’imposait au roi, arien jusqu’alors. Pendant un siècle encore, les souverains appartinrent à la race des conquérants, mais les cols des Pyrénées s’étaient refermés, nulle bande nouvelle de Germains ne venait renforcer les armées des Visigoths, tandis que de l’autre côté du détroit se montrait soudain un nouveau peuple envahisseur : celui des Arabo-Berbères, entraînés par une ardente foi. Ce qui restait des Visigoths allait disparaître dans une guerre à mort après trois siècles passés loin des forêts de la Germanie, sur les plateaux âpres de l’Espagne. Les Ostrogoths avaient succombé comme nation distincte cent cinquante ans plus tôt : ils s’étaient fondus comme neige au soleil, dans les plaines de l’Italie, et n’avaient point résisté aux Lombards.

Si la magie du nom de Rome avait attiré successivement tous les envahisseurs barbares dans la péninsule Italique, la position géographique des Gaules en avait fait aussi le rendez-vous des nations. Largement ouverte à l’est et au nord-est, la riche contrée, dont les populations résidantes n’avaient plus la force de refouler les envahisseurs, se trouvait libre jusqu’à la « fin des Terres » : les uns après les autres, les peuples migrateurs se dirigeaient vers l’une des provinces océaniques, où ils étaient arrêtés soit par la mer, soit par d’autres peuples en marche, et, se dispersant fragmentairement, s’associant à nouveau, entraient en d’autres combinaisons ethniques. De même les tribus, qui après avoir parcouru la Gaule osaient traverser les Pyrénées, ne franchissaient point les montagnes sans laisser de traînards derrière elles.

Naturellement, cette immense marée de peuples qui déborda sur le monde occidental ne put le faire sans que des contre-courants et déversements latéraux ne divisassent les bandes à l’infini. Il n’est pas de pays en Europe où l’on ne signale l’existence de populations hétérogènes ou « allophyles », comme on dit en Russie ; mais en France, la