Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome III, Librairie universelle, 1905.djvu/360

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
340
l’homme et la terre. — barbares

rôdaient déjà depuis deux cents ans sur les rivages continentaux de la mer du Nord, déposant çà et là des colonies permanentes sur les rivages : dépassant la Manche, elles s’étaient même avancées jusqu’en Armorique et dans l’estuaire de la Loire. Les côtes de la Belgique actuelle avaient déjà pris le nom de litus saxonicum, et c’est de là que les Anglo-Saxons, unis aux Jutes, s’élancèrent en 449 ou 453 pour franchir le détroit et prendre pied dans l’île de Thanet, pointe nord-orientale du pays de Kent, maintenant transformée en terre ferme. Ils avaient été appelés, dit-on, par les vaincus d’une guerre civile, et bientôt ceux-ci apprirent à leurs dépens qu’ils s’étaient donné des maîtres et des exterminateurs. Le pays des Bretons — Bretannie — devint celui des Angles — Engel-land ou Angleterre —, comme le pays des Gaulois était devenu celui des Francs.

Et tandis que les barbares se disputaient ainsi les lambeaux de l’empire Romain, celui-ci conservait encore un reste de vie. Après le passage d’Alaric, Rome avait été rebâtie, et des empereurs tremblants s’étaient hasardés à s’asseoir sur le trône, protégés par quelque lieutenant barbare. Une sorte de révérence empêchait les impies de porter la main sur la ville Sainte, et ceux mêmes qui pillaient ses trésors lui adressaient leurs hommages et prétendaient parler en son nom. Toutefois Genseric, le roi des Vandales, celui des conquérants qui s’était avancé le plus loin et qui avait soumis le plus de peuples divers, n’était pas homme à se laisser arrêter par le respect superstitieux de la majesté romaine. Déjà, par sa domination sur la Maurétanie, qui naguère était la contrée la plus utile pour l’approvisionnement de Rome, il affamait la ville Éternelle ; dès que l’occasion lui parut favorable (455), il s’en saisit pour prendre la cité et la piller à fond. Pendant quatorze jours et quatorze nuits, l’œuvre se fit avec méthode ; on n’oublia rien de précieux dans les palais et les églises : belles étoffes, gemmes, ors et bronzes, tout fut soigneusement enlevé, et ceux qui pouvaient payer rançon, jusqu’à des évêques, furent poussés dans le troupeau des prisonniers. C’est à tort que le nom de « Vandales » fut appliqué désormais aux destructeurs aveugles, brisant pour le plaisir et saccageant sans merci ; ceux-ci savaient compter.

Après cette terrible exécution, l’empire continua néanmoins de vouloir vivre encore, tant l’homme est naturellement conservateur. Des armées se recrutèrent, des provinces furent reconquises : des