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l’homme et la terre. — barbares

Ardennes, et dont la forêt de Soignes, près de Bruxelles, et le parc de cette ville sont de bien faibles restes, arrêtait les envahisseurs et les forçait de cheminer vers l’occident : « le rempart de bois » resta longtemps infranchi ; les trouées ne se firent que peu à peu le long des rivières et des ruisseaux pendant le cours du moyen âge ; jusqu’au milieu du IXe siècle, la forêt conserva son caractère de limite naturelle, déjà mentionnée dans la loi salique[1]. Au nord se trouvaient les guerriers et colons germaniques ; au sud, les clairières et les vallées étaient occupées par les Celtes Wala, ancêtres directs des Wallons.

La poussée de l’invasion franque se fit d’abord d’une manière toute pacifique avec l’assentiment des Romains, qui d’ailleurs n’auraient pu l’empêcher. De cette première époque datent la plupart des villages flamands dont les noms, terminés en hem, ghem, ou en ingem — peut-être cette dernière forme est-elle plutôt due aux Alamans —, le heim germanique, rappellent encore les fondateurs francs. Grâce à ce suffixe des noms de lieux, on peut suivre facilement à la trace les migrations des Francs depuis les bouches de l’Escaut jusqu’aux collines du Boulonnais : les mots indiquent le passage des guerriers cultivateurs posant solennellement la pierre du foyer[2]. Au milieu du Ve siècle, le romain Aetius, qui gouvernait encore une province gauloise au nord de l’empire virtuellement défunt, vint se placer en travers des flots humains pour défendre contre eux le haut bassin de l’Escaut. Alors un choc violent dut se produire : de pacifique, l’invasion franque se fit militaire, sous la conduite de Chlodio — Clodion —, le premier roi des Francs dont le nom soit fixé avec certitude dans l’histoire. La solidité des troupes disciplinées le retint au nord de la Somme ; mais il attendait l’occasion de se ruer dans les campagnes qui devinrent l’ « île de France ». Certes, les Francs ne pénétraient point dans les Gaules « pour y délivrer les Gaulois du joug des Romains », ainsi que se l’imaginait toute une école historique au XVIIIe siècle[3] : ils venaient en maîtres pour se substituer à d’autres maîtres et le nouveau régime devait être encore plus dur que l’ancien. Ainsi que Fréret l’a depuis longtemps établi, le nom de « Franks » ne signifie point

  1. H. Pirenne, Histoire de Belgique, tome Ier, pp. 10 à 13.
  2. Godefroid Kurth, Origines de la Civilisation moderne, t. II, p. 59.
  3. Augustin Thierry, Considérations sur l’Histoire de France, chap. ii.