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l’homme et la terre. — barbares

des cadavres, par centaines de mille, restèrent gisants dans l’effroyable étendue, et le roi des Huns, désormais sans l’auréole qui en faisait le maître des peuples, dut se contenter de parcourir en pillard l’Allemagne et l’Italie. Il réussit encore à détruire Aquileja, qui, pendant plusieurs siècles, avait joué le rôle de gardienne vigilante des passages alpins, à l’angle adriatique, et mourut bientôt après, laissant dans tout le monde romain le renom d’avoir été le plus atroce parmi tous les terribles destructeurs d’hommes qui se disputaient alors le territoire de l’Europe. Peut-être la prééminence dans ce crime fut-elle attribuée au « Fléau de Dieu » parce qu’il ne se réclamait pas de la foi chrétienne comme la plupart des autres assaillants de l’empire. D’ailleurs, une légende toute différente se forma parmi les siens ; les Magyars de Hongrie qui se disent encore ses fils vantent son amour de la justice et même sa bonté. Mais en dehors de la Hongrie, la mémoire des Huns reste associée dans l’imagination des peuples de l’Europe centrale à l’idée de massacres et de mort. Tous les tertres funéraires que l’on rencontre encore en Allemagne et qui furent si nombreux, avant que la charrue les nivelât avec le sol sont désignés uniformément sous le nom de Hunnengräber, tombeaux des Huns.

Au lendemain de la grande bataille qui ne laissait plus aux hordes d’Asie qu’un étroit territoire de conquêtes, tous les peuples guerriers de l’Europe, passant au-dessus des malheureuses plèbes agricoles, se déplaçaient dans la direction de l’ouest et du midi. Un seul peuple, celui des Vandales, ayant déjà terminé son mouvement de translation vers l’extrémité du continent d’Europe, refluait vers l’est, sur le littoral méditerranéen. Les Vandales, peuple de langue germanique, qui, pendant la période d’équilibre antérieure à la décadence de Rome, avait vécu sur les bords de la Baltique, au nord de la Warthe, s’étaient trouvés au premier rang lors de la migration générale. Avant-garde des Goths avec lesquels les Vandales s’étaient confédérés, une de leurs bandes avait envahi la Gaule même avant la fin du troisième siècle, mais, battue par Probus, elle avait été déportée dans l’île de Bretagne. D’autres Vandales avaient également pris part aux invasions directes de l’Italie, puis, au commencement du Ve siècle, la grande masse de la nation, franchissant le Rhin, s’était mise en route et, suivant la voie naturelle qui, par la Loire moyenne et la Charente, contourne les hautes terres centrales de la France, ne